Istres « street blues »…
Comme nous l’avions mis en lumière, notamment en couvrant le conseil municipal, Istres reste, dans les Bouches-du-Rhône, une planète à part où règne quasi sans partage et malgré ses casseroles le maire « divers gauche » François Bernardini. Les élections municipales qui se profilent ne semblent pas vouloir changer la donne. En effet, si le maire sortant, dont les soutiens vont du Parti de gauche jusqu’à l’UMP (avec le ralliement récent d’Olivier Mayor, l’opposant « responsable » estampillé UDI et d’Alain Aragneau, l’ancien chef de file de l’UMP local), n’a pas reçu l’investiture officielle du PS tant au niveau fédéral que local, face au risque FN, le PS ne prendra pas le risque de présenter une liste socialiste. Mais Bernardini peut se consoler puisqu’il vient de recevoir le soutien de ses amis marseillais : Patrick Mennucci, Marie-Arlette Carlotti, Eugène Caselli, Christophe Masse…
Face à lui, il n’y a donc, pour l’heure, que le FN (avec un jeune loup, Adrien Mexis) et l’UMP avec Michel Leban. Quant à la liste « Istres Démocratie », elle semble avec fait long feu. En revanche, il se pourrait qu’une autre liste de gauche, mêlant PG et écolos, voie le jour. L’article que nous reproduisons ci-dessous, a été publié dans le Ravi daté décembre 2013. Si certaines informations datent désormais un peu, il dépeint assez bien le climat qui règne dans une ville où le premier magistrat n’a pas hésité à nous poursuivre en justice pour avoir eu l’outrecuidance d’enquêter sur sa gestion. Heureusement, les tribunaux lui ont donné tort. En attendant les électeurs ?
Istres « street blues »…
L’une des ambitions du Ravi est de faire vivre le débat démocratique. Une gageure dans la région. Et pourtant, à Istres (13), malgré une diffusion modeste, le mensuel qui ne baisse jamais les bras a, d’une certaine manière, mis du piment dans une vie politique jusque-là un peu atone (Cf notre « contrôle technique » dans le Ravi n°107).
Ainsi, alors que l’audience du blog de Guy Queytan (Cf encadré ci-contre) était relativement confidentielle, suite à la reproduction de notre enquête et l’assignation qu’elle a suscitée (Cf page ci-contre), les visites sur son site – et les commentaires – ont explosé. Attaqué en diffamation, celui qui fut jadis un proche du maire décide aussitôt de mettre sur la place publique les sujets qui fâchent (urbanisme, endettement…). La machine frôle même l’emballement : la mairie croit nécessaire de reprocher, un temps, à Lionel Jaréma, le secrétaire de la section PS d’Istres, d’avoir envoyé à ses contacts un mail les invitant à lire notre article !
Mais, de fait, la bataille pour les municipales faisait rage bien avant ces coups d’éclat. Le véritable coup d’envoi a-t-il été donné par l’association « Agir pour Istres », à l’origine de plusieurs recours, notamment contre le Plan local d’urbanisme (PLU), au point que François Bernardini a dû, suite aux remarques du préfet, revoir sa copie ? Michel Caillat a lui aussi lancé, à sa façon, la campagne. L’ancien maire PS est en effet sorti de son silence pour répliquer à son successeur qui l’accusait d’être responsable de l’endettement de la ville. Ou bien est-ce plutôt le PS d’Istres qui a lancé les hostilités au moment des discussions budgétaires en pointant l’épineuse question de l’endettement ?
Divers gauche ou droite ?
Toujours est-il que c’est plus dans cette galaxie de gauche qu’à droite qu’il faut chercher les adversaires sérieux du maire « divers gauche » d’Istres. François Bernardini, lorsqu’on l’interroge sur Olivier Mayor, soutenu par l’ancien patron de l’UMP Alain Aragneau, et qui vient d’être investi par l’UDI pour lancer sa liste aux municipales, nous dit : « Je salue son attitude car, depuis six ans au sein du conseil municipal, il a été un opposant constructif. » (1) Pour ne pas dire, sourient ses adversaires, un allié objectif. Au point que certains, à Istres, se demandent s’il faut considérer Bernardini comme « divers gauche ou… divers droite ».
De fait, si l’UMP a bien investi un candidat, Michel Leban, celui qui dans le scrutin risque de jouer les trouble-fête, c’est Adrien Mexis, représentant du « Rassemblement bleu marine ». Un parachuté, venu d’Aix, qui espère bien être « au deuxième tour », s’appuyant sur un sondage donnant le FN à plus de 53 % ! Même si, avoue le candidat frontiste, « pour l’heure, je n’ai pas encore bouclé ma liste. Bizarrement, peu après m’avoir apporté leur soutien, certaines personnes se sont désistées. Mais j’ai toute confiance. On attire des gens qui viennent de partout… » Si le maire assure qu’« Istres n’est pas une ville d’extrême droite », cela ne l’a pas empêché, lors d’une soirée organisée par la Ligue des droits de l’homme (une projection du film « Mains brunes sur la ville », réalisé par un collaborateur du Ravi, Jean-Baptiste Malet), de se présenter comme le dernier rempart !
Objectivement, le parachuté Mexis fait les affaires de Bernardini. En effet, face au risque FN, le PS a suspendu, contre toute attente, l’investiture pour les prochaines municipales du patron de la section locale Lionel Jaréma ! Une manière pour Solférino d’apporter sans l’avouer son soutien à un François Bernardini dont elle avait pourtant refusé qu’il ré-adhère au PS. Une position qui met « mal à l’aise » Jean-David Ciot, le patron de la fédération du PS 13. Bernardini, autrefois n°1 des socialistes dans les Bouches-du-Rhône avant d’être condamné à cinq années d’inéligibilité par la justice, se régale : « Je ne vois pas d’ambivalence dans la décision des instances nationales du PS. Cette décision met fin à 13 ans de relations tortueuses. Le soutien viendra. Il est en cours. » Jaréma, après avoir évité l’éclatement de la section et avoir rencontré Bernardini, ne sait sur quel pied danser. Interpeller le « national » ? Ou se lancer « peut-être sans la rose sur les affiches mais avec ses valeurs » ?
Au fond. Tout au fond…
En attendant, une autre liste vient de voir le jour : Istres Démocratie. L’émanation politique de l’association Aire (Agir pour Istres du Ranquet à Entressen), à l’origine de plusieurs recours, notamment celui contre le PLU, et qui devrait prochainement se faire les crocs sur un autre morceau de choix, le projet immobilier qui est en train de sortir de terre sur l’ancien site du stade Bardin.
Comme l’explique à La Provence l’écologiste Pierre Cazeel, « il y a une fenêtre qui s’ouvre entre la peste et le choléra pour ceux qui ne veulent pas choisir entre Bernardini et Mexis ». Pierre Garcia, autre membre d’Istres Démocratie, déplore cette sortie qui est « une erreur de communication. Pour faire vivre la démocratie dans une ville où l’opposition est sous tutelle, on ne va pas commencer notre campagne en traînant les gens dans la gadoue. Mais on ne pouvait pas ne pas y aller. » Et d’assurer qu’au-delà des recours contre le PLU, « on va travailler sur les dossiers de fond : les finances de la ville, le bétonnage… »
Problème : manque quelqu’un pour incarner cette opposition. Et d’aucuns de penser à l’ancien maire PS Michel Caillat. Qui, pour l’instant – même si, avoue-t-il, « il n’y a pas une semaine où je ne suis pas sollicité » – se refuse à revenir en politique. Ce qui ne l’empêche pas de tirer à boulets rouges sur Harlem Désir : « En faisant en sorte qu’il n’y ait pas de liste PS face à François Bernardini, en apportant de fait son soutien à ce dernier, je me demande si l’actuel secrétaire national du PS ne pousse pas purement et simplement certains socialistes à se jeter dans les bras de Marine Le Pen. »
Plusieurs sources nous ont fait état d’anciens militants du PS passés récemment à l’extrême-droite. Soupir d’un socialiste : « Je connais des personnes qui ont des années de carte au PS et qui ont avoué qu’aux prochaines municipales, s’il le faut, avec ou sans masque, avec ou sans gants, ils seront prêts à mettre un bulletin FN dans l’urne… »
De fait, à Istres, l’ambiance est pesante. En témoigne « Le souffle des mots », un pamphlet écrit par un certain « Vico Troghu », se présentant comme les mémoires d’un ancien de la Bac d’Istres et qui n’est pas tendre avec la classe politique. Lorsqu’on demande à François Bernardini s’il a lu cet ouvrage (et s’il compte engager des poursuites), il répond : « Non, je n’ai pas lu. Mon entourage proche l’a fait. Il s’agit d’un roman et par définition d’une fiction avec laquelle je n’ai rien à voir ni de près ni de loin. Ce livre ne me concerne pas. » En attendant, il fait le tour de la ville…
Sébastien Boistel
1. François Bernardini a répondu à nos questions par écrit. Il nous a fallu, avant cela, passer par la direction de la communication de la ville d’Istres et par… Jean-Laurent Abbou, l’avocat qui a représenté le maire et Philippe Cambon lors du procès contre le Ravi.