Istres sous surveillance
Istres « capitale nationale de promotion de la paix » ? Ce n’est pas ce que renvoie le conseil municipal. Fin septembre, l’opposition interroge François Bernardini sur les investigations de la Chambre régionale des comptes et de la brigade financière. Envoyé au charbon, l’adjoint « centriste », Olivier Mayor, confirme que Nicolas Davini, le directeur général des services, a été entendu par la CRC et la police. Et le maire d’ajouter que si la police est venue, ce serait juste pour savoir, suite à des « dénonciations », pourquoi « les travaux à la Régalido [ont duré] autant de temps ? […] Voyez comme c’est pauvre ! »
Un dossier que connaît bien le Ravi. Il nous a valu d’être poursuivi en justice et en vain par le maire (lire ci-dessous). De l’histoire ancienne, alors ? Pas sûr. Car si les enquêteurs se veulent discrets et si la mairie a refusé de répondre à nos questions (1), le parquet confirme qu’une « enquête est en cours. Et avec ce genre d’enquêtes, on sait quand ça commence, jamais quand ça finit. » D’après Robin Prétot, conseiller « LR » d’opposition, une personne « du service de la commande publique aurait été longuement entendue le 8 octobre » par la brigade financière. A la mairie, au sein de ce service, nul ne se risque au moindre commentaire.
Depuis, la patronne du parquet d’Aix, Dominique Moyal, a pris « en direct » le dossier. Ce qui est « normal, nous dit-on, quand des élus sont susceptibles d’être mis en cause » : « On est encore en phase de débroussaillage, nous explique-t-elle. Des personnes d’Istres nous ont rapporté un certain nombre de faits à propos de marchés publics. Certains relativement anciens, d’autres encore d’actualité. Alors, on vérifie. Il y a donc eu des auditions, notamment des responsables, et il y en aura d’autres. Quant au maire, il a été approché en tant que témoin mais n’a pas encore été formellement entendu. Et il n’y a pour l’heure ni information ouverte ni garde à vue. »
Istres bruisse donc de rumeurs. L’opposition scrute marchés et chantiers. Ainsi, fin octobre, en atteste la « lettre ouverte » du socialiste Lionel Jaréma, le forum des Carmes, ce centre commercial qui n’est pour l’heure qu’un parking, fait à nouveau parler de lui. Pas étonnant alors que remontent à la surface quelques histoires. Comme celle de la villa de la directrice de cabinet (lire encadré).
Alors que le rapport de la CRC est attendu pour début 2016, Prétot, lui, s’est fendu d’un long courrier à la chambre. Dans le prolongement de sa « lettre ouverte » au maire l’an dernier, il « alerte sur la situation financière et les dépenses de la ville ». Au-delà des achats de « mobilier de luxe » pour le pavillon de Grignan ou les dépenses liées à MP 2013 sur lesquels il s’était déjà fait les crocs, il estime que « l’état du personnel de la ville est une véritable bombe à retardement ».
Il s’appuie sur un document que le Ravi a pu consulter : une note de février 2014 où, face à « la progression importante de la masse salariale », le maire est alerté par ses services sur « certains points qui peuvent s’avérer critiques ». Ainsi, fin 2013, comptabilisant « 1721 » agents payés, l’auteur s’inquiète autant de l’« augmentation du coût de la masse salariale » que du « recours de façon exponentielle aux contrats aidés » (en recensant « 163 »). Et d’écrire, alors que « les CAE sont actuellement systématiquement reconduits et quand ce n’est plus possible sur la Ville, ils le sont par le biais du CCAS » : « Ce qui risque d’être difficile, c’est de mettre un terme à ces contrats le moment venu. » D’ailleurs, en ce moment, c’est une ancienne employée en CAE qui fait particulièrement parler d’elle sur les réseaux sociaux…
Lionel Jaréma s’est inquiété des difficultés à payer ses agents que la ville aurait eu cet été. La dette dépasse les 20 millions et le personnel 60 du budget de fonctionnement. Le DGS reconnaît avoir dû tirer une « ligne de trésorerie », du fait d’un « manque à gagner lié à des rappels sur recettes fiscales ». De fait, la situation financière d’Istres est l’objet de passes d’armes récurrentes. Et, au vu des orientations budgétaires pour 2015, au-delà de la baisse des dotations de l’Etat, la mairie peine à cacher les points de discorde, tant du côté des « dépenses de personnel » que de la « fiscalité ».
Or, dans le même temps, Istres se lance dans un nouveau chantier : un golf ! Le 18ème dans le « 13 », raille l’opposition. Et sur une ancienne friche industrielle avec un coût de dépollution compris, de l’aveu même du DGS, entre 400 000 et 400 millions d’euros ! « Mais ce qui compte, ce sont les villas qui vont avec. On est dans une frénésie de constructions, soupire Prétot. Pour une raison simple : les caisses sont vides. Alors, comme il n’est pas possible d’augmenter les impôts, le seul moyen de faire rentrer de l’argent, c’est de construire. »
C’est bien connu : quand le bâtiment va, tout va ! Et à Istres, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Après tout, Nicole Joulia, la première adjointe de Bernardini, sa « doublure » quand il était inéligible, ne vient-elle pas d’être décorée de la Légion d’honneur ? De surcroît par la conseillère régionale Laurence Vichnievsky. Avec ces mots : « Tu es tout ce que j’apprécie chez l’élue de terrain. Celle qui me fait encore aimer la politique, même dans les Bouches-du-Rhône. » Piquant de la part d’une ex-juge d’instruction passée des écolos au Modem après avoir un temps secondé Mennucci et défié Guérini…
Sébastien Boistel
N.B. Depuis que François Bernardini a attaqué en justice le Ravi, nos échanges se font… par écrit ! A trois pages de questions, la mairie a tout juste répondu une demi-page. Avec, comme leitmotiv : « pas de commentaire »…
Cet article a été publié dans le Ravi n°134 daté novembre 2015