Institutions piège à… ?
« Les gens ont envie ou pas, le reste c’est de la littérature. » Les formules toutes faites sont parfois utiles. Celle utilisée par un représentant de la CPAM résume bien le sentiment à l’issue de l’atelier 5, des deuxièmes Etats généraux de l’urgence sociale, chargé de plancher sur un thème aussi limpide qu’une directive européenne : « De la coopération interinstitutionnelle au réseau opérationnel » d’accès aux soins des SDF.
Heureusement, il n’était pas si abscons pour la trentaine de travailleurs sociaux réunis dans une salle excentrée et glaciale du domaine La Baume-Les-Aix. Le sujet leur était même particulièrement parlant, tant les difficultés semblent insurmontables, notamment en raison du désengagement de l’Etat et des collectivités territoriales, mais aussi des réformes mises en place. Exemple : alors que les anciennes directions départementales des affaires sanitaires et sociales avaient une fonction de diagnostic sanitaire et social, plus aucune institution ne joue aujourd’hui ce rôle. « A Nice, on ne demande pas des moyens financiers, mais la volonté des acteurs […] S’il y a une dynamique associative, un peu suivie par le CCAS (1), [on peut être bloqué] par les guerres politiques, les guerres entre les institutions », déplore également une salariée d’une association de prévention et de soin des addictions.
Même à Marseille, pourtant montrée en exemple, tout est loin d’être idéal. La ville a été pionnière pour la mise en place d’Ateliers santé ville (depuis 2002) et, surtout, fin 2011, le projet interinstitutionnel ASSAB (2) y a été lancé sur un diagnostic presque évident du service de santé publique de la commune : pour soigner les SDF, il est plus efficace d’aller vers eux, donc il faut mettre des médecins dans la rue. Et les premiers résultats sont encourageants. Les plannings des maraudes des différentes structures sont mis en commun, les comités de pilotage (bimestriels) sont efficaces grâce à la création d’un poste de coordinatrice (financé par la FNARS Paca), le nombre de sans-abri domiciliés (préalable à toute démarche administrative) a explosé, comme celui des bénéficiaires de la CMU (3), les acteurs sont mieux outillés pour répondre à certains freins administratifs. Cerise sur le gâteau : « Ce partenariat coûte, mais rapporte aussi, se réjouit notre représentant de la CPAM. Un tas de coûts cachés disparaissent. » Conclusion d’Agnès Espinoza, rapporteur de l’atelier : « Le projet est valorisant pour les institutions car concret. Et les retours ne peuvent que les inciter à continuer. »
Reste que si la route est droite, elle est encore longue. Les démarches administratives, comme pour l’AME (4) sont toujours aussi fastidieuses et la coopération interinstitutionnelle est encore en rodage, même pour résoudre des problèmes simples. Exemple : les SDF ont toujours trop peu accès à l’eau à Marseille à cause de la guerre intestine entre Guy Tessier (président de MPM, compétent en la matière) et son camarade Jean-Claude Gaudin, le sénateur-maire UMP. « Si on en revient à l’idée de mettre des médecins dans la rue, c’est un échec », dénonce surtout une participante.
Autre signe que la pente est également forte, aucun élu, aucun représentant des grandes institutions régionales (ARS, etc.) n’a pointé à l’atelier. Pas plus qu’à ces deuxièmes Etats généraux de l’urgence sociale. « Les gens ont envie ou pas… »
Jean-François Poupelin
1. Centre communal d’action sociale.
2. Accès aux soins des sans abris. ASSAB regroupe notamment des associations, les collectivités locales, l’agence régionale de la santé (ARS), les hôpitaux de Marseille.
3. Couverture maladie universelle.
4. Aide Médicale d’Etat.