Il nous ment, il nous ment…
Sauf à finir dans notre dos, les poissons d’avril nous laissent plutôt de glace. Les « marronniers », c’est rarement synonyme de fraîcheur. Ou d’inventivité. Mais, ce matin-là, sur Facebook, ce post aussi lumineux que déprimant : « Le 1er avril, c’est le seul jour où les gens vérifient une info avant de la croire. »
Et les journalistes ? C’est pourtant la base. Mais avec l’info en continu et les réseaux sociaux, l’exercice est suffisamment ardu – quand il n’est pas optionnel voire exceptionnel – et il a donné naissance à une spécialité : le « fact-checking ».
L’ancêtre, d’après Laurent Bigot, auteur d’une thèse à ce sujet, ce sont ces journalistes qui, « au début du 20ème siècle, étaient chargés, dans les grands magazines américains, de vérifier chaque info avant qu’elle ne soit publiée. Quitte à reprendre les notes de leurs confrères, à rappeler leurs interlocuteurs voire à refaire les enquêtes ! »
Depuis, la discipline, remise au goût du jour par les rédactions web, s’apparente plutôt à un travail de décryptage visant à distinguer le vrai du faux. Pas étonnant donc si Factoscope (1) est né lors de la dernière présidentielle : « C’est un site web dont la spécialité est de faire du fact-checking politique », précise notre collègue.
Loin de se contenter de relayer le travail des médias qui se plient à l’exercice, Laurent Bigot s’appuie sur celui des étudiants de l’école de journalisme de Tours où il officie. Un excellent exercice et une véritable garantie d’indépendance : « On s’appuie sur une charte rigoureuse, en essayant d’être impartial. Par souci d’équilibre, on ne va pas contrôler un parti plutôt qu’un autre. Et on n’a aucune pression. Même si on y passe plusieurs jours, si on n’arrive pas à vérifier une déclaration, pas question de publier quoi que ce soit. »
Fastidieux de prime abord – « qu’ils nous répondent ou non, on interroge systématiquement les politiques sur leurs sources » – l’exercice est aussi ludique que nécessaire. Et en dit long sur le journalisme et la politique : « Aujourd’hui, le fact-checking est à la mode. Même les JT en font. Mais ce que déplorent ceux dont c’est la spécialité, c’est de voir à quel point leur travail est sous-exploité. Car, ce qui surprend, c’est moins la capacité des politiques à répéter les mêmes mensonges que celle des journalistes à ne pas les relever. »
Avec les européennes, pas question de chômer ! « On s’est rendu compte que Ian Brossat, du PCF, n’avait jamais fait l’objet de fact-checking », explique par exemple Laurent Bigot. Pour celui qui a failli être exclu du « grand débat », c’est désormais chose faite. Heureux, qui, communiste…
1. rattrapages-actu.fr/factoscope
Sébastien Boistel
Article publié dans le Ravi n°173 en mai 2019