« Il faut que le théâtre soit accessible à tout le monde »
Y’en a qui pensent que la culture ce n’est pas pour eux, vous vous en pensez quoi ?
Philippe Chuyen : Vous avez pu le constater, le théâtre c’est pour tout le monde. Au-delà du sujet, cette pièce a été créée pour faire entendre des voix que l’on n’entend jamais. Il faut que le théâtre soit accessible à tout le monde. Il y a des artistes qui calibrent leurs spectacles pour qu’ils soient en direction d’un certain public qui connaît très bien un auteur par exemple. Dans mes pièces, j’aime introduire un aspect plus politique qui intéresse la cité, avec des références comme ici à Camus, à Mouloud Feraoun…
Thierry Paul : La première fois que je suis allé au théâtre, j’avais 28 ans et ça m’a mis sur le cul ! Je me suis dit « y’a des gens comme ça en direct qui me parlent ! ». Et du coup j’ai voulu en faire mon métier. Pourtant, je n’étais pas d’un milieu intellectuel mais ça m’a touché.
Jean-Louis Todisco : Souvent c’est nous qui nous mettons nos propres limites, notre propre carcan. Alors qu’il y a des choses qui parlent et qui n’ont pas besoin de filtres, c’est direct.
Philippe Chuyen : Pour être touché par un tableau de grand maître souvent on n’a pas besoin qu’on nous l’explique.
C’est vrai que lorsqu’on pense théâtre, on a l’impression de quelque chose d’inaccessible.
Philippe Chuyen : Mais c’est vrai qu’il y a une tradition en France qui fait que l’art est réservé à une certaine élite. Mais des manifestations comme le festival Off d’Avignon ce sont des moments qui convoquent tout le monde. Peut-être que le In serait plus élitiste dans les esthétiques.
Jean-Louis Todisco : Parfois le mot théâtre ne se suffit pas à lui-même, moi j’y rajouterais le mot populaire. Ça simplifie le mot théâtre.
Pourquoi avez-vous choisi le thème de l’Algérie ?
Philippe Chuyen : Ça part de l’idée du 50ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie qui a eu lieu en 2012. Certains l’ont fêté de manière négative, d’autres de manière positive. Moi j’ai choisi justement un travail sur la mémoire de chacune des victimes et des acteurs. Il s’agit des fils de gens qui ont vécu ça en direct et qui portent dans leur famille des blessures, un fardeau lié à cette mémoire.
Est-ce que vous avez réfléchi au sujet tous ensemble ?
Philippe Chuyen : Non c’est moi tout seul qui ai pensé ce projet. J’ai écrit un texte que l’on a peaufiné ensemble en répétition. Car un texte écrit n’est pas du théâtre, tant que les acteurs ne se sont pas emparés des mots, ça reste de la littérature. C’est tout un processus de création.
Vous vous êtes rencontrés comment ?
Philippe Chuyen : On se connaissait déjà pour certains d’entre nous car on avait travaillé ensemble sur d’autres pièces. On a connu Sofiane et Gérard car on cherchait des comédiens qui aient des origines algériennes et pieds-noirs. Car ça ajoute à leur matière intérieure pour pouvoir interpréter le rôle, même si ce sont des personnages de fiction.
Vous préférez jouer en intérieur ou en extérieur ?
Sofiane Belmouden : Les premières années à Avignon, on jouait sur un vrai boulodrome avec le chant des cigales, les bruits de la ville. Pour moi, en intérieur il y a quelque chose de beaucoup plus subtil puisqu’on peut mieux entendre les mots, les spectateurs ne sont distraits par rien. Idem pour nous. Du coup on est comme dans une bulle et ça permet de voyager dans cette histoire plus tranquillement.
Thierry Paul : Mais en extérieur on touche toutes les populations.
Est-ce que vous pensez que vous avez réussi à faire passer votre message ?
Philippe Chuyen : Ce n’est pas moi qui peux le dire, c’est le public. Est-ce qu’il se sent représenté ? Est-ce qu’il se sent touché ?
Jean-Louis Todisco : Le message on arrive toujours à le faire passer, mais ce qui importe c’est ce que les gens font du message.
Est-ce que l’humour aide à toucher le plus grand nombre ?
Philippe Chuyen : Bien sûr ! Dans la vie lorsqu’on raconte des choses tragiques on ne pleure pas forcément, on peut même plaisanter sur ça. Le théâtre doit se rapprocher au maximum de la vie. Le but d’une œuvre que vous présentez c’est que le public, qu’il vienne d’un quartier ou d’un milieu plus bourgeois, soit happé par l’histoire. Parce que c’est une histoire que l’on raconte.
Cette pièce parle aussi de l’accès à la culture de l’autre…
Sofiane Belmouden : Parfois on a l’impression que notre culture est exclusive et que les autres n’existent pas. La pièce montre que non, justement, chacun a son histoire et elle se mélange avec celle des autres. On apprend avec les autres et les autres apprennent de nous. Le vivre ensemble c’est important !
Propos recueillis par Fadila Louhab, Farida Sahki Benniche , Hayette Rachef, Samia Feriel, Sabira Abed et Sakina Mana Khelil. Mis en forme par Samantha Rouchard.
Quatre hommes sont sur une scène transformée en terrain de boules. Il y a le Pied-noir (Zé), le Français d’origine algérienne (Yaya), le Provençal (Loule) et le Parisien (M.Blanc). Chacun a un lien particulier avec la guerre d’Algérie. La partie de pétanque devient rapidement le lieu de confrontation d’une histoire passée dont chaque personnage n’est finalement qu’une victime. De, mis en scène et avec : Philippe Chuyen (M. Blanc) Avec : Sofiane Belmouden (Yaya), Gérard Dubouche (Zé), Thierry Paul (Loule). Musique : Jean-Louis Todisco (accordéon)
Pour en savoir plus sur la compagnie Artscenicum, c’est par ici…