Helle ne danse pas sur le pont d’Avignon
Printemps 2014, alors que le PS se fait laminer aux élections municipales, Avignon est la seule ville importante de Paca à basculer à gauche. Au terme d’une campagne menée avec ses partenaires du Front de gauche et écologistes, l’heureuse élue est Cécile Helle, quarantenaire précoce en politique – elle fut la benjamine de l’Assemblée nationale en 1997 comme suppléante d’Elisabeth Guigou. (1)
« L’espoir était immense, se rappelle un travailleur social d’un quartier populaire de la ville. Mais la frustration est à la hauteur de cet espoir. On ne voit rien bouger, nous constatons même une dégradation des relations avec la mairie. Le mode de décision, centré autour du maire et de son cabinet [Ndlr. dont le chef a quelques problèmes avec sa voiture, lire ci-dessous], ne nous permet pas d’avancer. » Il dénonce aussi le manque de démocratie locale que la ville prône au travers des conseils de quartier : « Nous ne sommes pas associés à la démarche. Et pour l’instant rien n’en ressort. » Vincent Delahaye, élu front de Gauche admet que « les budgets ne sont pas au rendez-vous et que la majorité ne s’est pas encore donné les moyens de faire avancer le dispositif. Mais il va falloir le faire ! »
De ses grandes promesses de campagne – gratuité des transports en commun, retour en régie publique pour la gestion de l’eau… – seule la remunicipalisation des cantines scolaires semble satisfaire tout le monde dans la majorité plurielle. « Elle a fait ce qu’elle a promis », concède Jean-Pierre Cervantès, l’un des deux élus écologistes boutés hors de la majorité, l’an dernier, après avoir soutenu des opposants à l’abattage de platanes malades en centre-ville. L’écart de trop après quelques autres désaccords : « Il ne faut pas qu’il y ait une tête qui dépasse, Cécile Helle ne supporte pas les opinions différentes. Elle a fait beaucoup de mal à la gauche locale en se coupant des Verts. »
Tour d’ivoire
Pour l’heure l’alliance avec le Front de gauche semble tenir : « Même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous sommes globalement satisfaits des orientations budgétaires, tempère Vincent Delahaye. Mais nous ne sommes pas de grands méchants non plus. Nous pourrions par exemple être plus véhéments concernant les délégations de service public allouées au privé. » L’élu pointe aussi la difficile situation budgétaire héritée de 20 ans de gestion de la droite à quoi s’ajoute la baisse de dotations de l’Etat : « il faut nous donner du temps. »
Le dossier du retour en régie de la gestion de l’eau est une grosse épine dans le pied de la maire socialiste même s’il dépend de l’agglomération où la gauche n’est pas majoritaire. Un collectif très actif se bat pour abandonner la délégation confiée à Veolia. Récemment, plusieurs jugements ont condamné la multinationale, notamment sur des taxes et pénalités jugées illégales. « A aucun moment, ni Cécile Helle ni quelqu’un de son équipe ne s’est exprimé pour demander des comptes à Veolia, assure Marcelle Landau, représentante du collectif. Maintenant, nous ne reposons pas sur les bonnes volontés de tel ou tel élu mais il y a eu beaucoup de paroles et peu d’actes. »
Fronde culturelle ?
Autre écueil et pas des moindres, celui de la culture dans la ville du théâtre. Une fronde grandit doucement suite à des baisses de subventions entamées en 2015 qui se poursuivent cette année à hauteur de 5 %. « Nous ne sommes tenus au courant de rien, tance Gérard Gélas, directeur du théâtre du Chêne Noir et membre des Scènes d’Avignon qui regroupent six lieux culturels. Je veux bien qu’il y ait des difficultés budgétaires mais il faut faire des choix. La région et le département ne baissent pas leurs aides à la culture… Le centre-ville d’Avignon est en train de mourir ! » Situation assez cocasse, il n’y a plus d’adjoint à la culture depuis septembre dernier. « Que la maire gère les gros dossiers pourquoi pas, poursuit Gérard Gélas. Mais elle ne peut pas tout ! Comment s’occuper des petites structures qui font un boulot énorme ? » Un « constat froid », selon lui partagé par de nombreux acteurs culturels locaux, qui pourraient se faire entendre lors du prochain festival. Le metteur en scène n’exclut pas de mener une grève de la faim !
Tout autre sujet, qui agace fortement Martine Gras, représentante du Collectif contre les inégalités et l’exclusion, l’absence de douches publiques pour les sans-abris. En 2012, l’ancien maire Marie-Josée Roig avait fermé les seules de la ville, place de l’Horloge. Le collectif a demandé des comptes à la mairie et à la préfecture en apportant des propositions. « Ils se renvoient la balle. La préfecture a proposé la mise en place d’une douche mobile, se lamente la militante. Ça n’a pas l’air d’avoir séduit la ville. On nous a adressé un courrier en nous disant que la mairie avançait à son rythme… Face à l’urgence, on s’interroge sur leurs intentions. »
Reste un projet emblématique susceptible de redorer le blason de la maire auprès de la gauche locale : celui du Tri postal. Cette grande friche à réhabiliter pourrait devenir un lieu d’envergure à caractère social et culturel (accueil de nuit, cantine solidaire, nouvelles formes d’habitat, lieu de résidence, bains douches…). Mais tout cela coûte très cher. « La mairie observe en attendant d’en savoir plus sur notre modèle économique et c’est normal, explique Renaud Dramais, un des porteurs du projet. Elle respecte pour l’instant ses engagements, nous aide comme elle le peut. » Une branche d’un platane à laquelle se rattraper, si le tronc n’a pas déjà été coupé.
Clément Chassot
1. Le maire n’a pas donné suite à nos demandes répétées d’entretien.
Article publié en avril 2016 dans le n°139 du mensuel le Ravi