Grand corps malade
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Renaud Muselier aime à rappeler qu’il est « moitié médecin, moitié politique, moitié entrepreneur ». Lors de ses vœux fin janvier, pour dézinguer le maire de Marseille, le patron (LR) de la Région – et accessoirement de la clinique privée Saint-Martin – a été jusqu’à se faire ardent défenseur de l’hôpital public !
Fustigeant « l’absence de réaction du président du conseil d’administration de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille » (c’était avant qu’il ne monte au ministère de la Santé avec Jean-Claude Gaudin, le président de l’AP-HM, et Martine Vassal, à la tête du Département), l’ancien « étudiant en médecine » ironise sur la politique qui a conduit à « fermer à Marseille la plupart des hôpitaux » : « J’ai toujours été fasciné d’entendre dire : "On ferme. Comme ça, on regroupe, on restructure et y a plus de dette" ! »
C’est pourtant, face au milliard de dette de l’AP-HM, la philosophie du « plan de modernisation » rappelé, fin mars, par les « recommandations » du Comité interministériel de performance et de la modernisation de l’offre de soins (Copermo). Un plan qui met en avant 300 millions d’euros de rénovation (en partie pris en charge par l’État) pour mieux masquer la suppression d’un millier de postes, de centaines de lits et la fermeture, petit à petit, des hôpitaux du sud.
D’ailleurs, lors de ses vœux, notre bon « docteur » se gardera d’évoquer un projet qui s’inscrit pourtant bien dans cette stratégie. Déjà présente à l’hôpital Sainte-Marguerite, sa clinique envisagerait, comme l’a pointé la CGT en février, d’y installer un « hôpital de jour de 25 places » en louant 1 000 m2 pour… 750 euros par mois ! « C’est le tarif de France Domaine pour des bâtiments qui ne sont plus aux normes et où il y en a pour au moins 2 millions de travaux », clame François Giocanti, directeur de la clinique.
Santé versus immobilier
A Sainte-Marguerite, la CGT dénonce une « vente à la découpe des hôpitaux du sud » que l’État ne masque même plus. Ce que, même à Saint-Martin, on trouverait «regrettable ». Le professeur Dominique Rossi, président de la CME (la « commission médicale » de l’AP-HM), a moins d’états d’âme : « Vu l’état financier, on a besoin de recapitaliser et il va falloir des réalisations immobilières. »
C’est lui que la com’ mandate pour défendre le « plan » : « On est le 3e CHU de France, avec un million de consultations, de la recherche… Mais, face au milliard de dettes et aux millions de déficit, l’État a dit "stop". D’où ce plan dont la ligne directrice est la thématisation des sites. » Au nom du « regroupement de la réanimation pédiatrique » sur la Timone, les 5 lits qui y étaient consacrés à l’hôpital Nord vont être fermés. Contrairement à Solidaires, Rossi assure qu’il n’y aura « aucune perte de chance » grâce à 2 lits d’« urgence vitale ».
« La prochaine étape, c’est la fin de la chirurgie pédiatrique ? », peste Olivier Bonnaud de la CGT. Qui tique aussi face à la suppression des hébergements pour les parents d’enfants hospitalisés. Soupir d’une sage-femme : « Ici, pour les grossesses à risque, on a des chambres à 3 lits. Il y a encore des douches collectives. Et là, on va dire aux familles de faire du Airbnb ! » Une « spécialisation » qui impacte aussi l’hôpital militaire de Laveran : « Il n’est pas rare, nous dit-on, qu’on récupère des gens de "Nord" où on préfère se concentrer sur de "vrais" patients. »
Avec le projet de transfert de la maternité de la Conception à la Timone, ce qui est redouté in fine, c’est que tous les moyens soient concentrés sur un « hôpital-usine » qui clame sur sa façade « l’excellence pour tous chaque jour » même s’il vient d’être secoué par deux affaires sordides : l’inversion des corps de deux bébés, dont l’un a été incinéré par erreur, et l’histoire de cette mère qui a fait 1 km avec son nouveau-né dans les bras jusqu’à la chambre mortuaire.
Dans cet hôpital toujours en chantier, difficile de s’y retrouver. Même pour Fabienne Paume, de Solidaires, qui nous fait faire le tour de la Timone : « Ici, il y a de l’amiante, des inondations… On fait du neuf dans du vieux. Même quand c’est livré, c’est loin d’être la panacée. Comme les blocs sous l’héliport où ça puait le kérosène et les gaz d’échappement ! » L’hôpital public se caractérise par le manque de moyens. Même au sein du « service de santé au travail », il manque « 2,3 » médecins du travail pour « assurer dans les conditions réglementaires » leur mission : ils ne sont que « 5,7 équivalents temps plein » pour « 16 100 agents » ! Une situation généralisée.
Locaux pourris
Comment s’étonner alors que « les risques psychosociaux [soient] le 1er motif de consultation spontanée », « la grande majorité » étant « en lien avec un mal-être au travail » et débouchant sur « 20 % d’orientations vers un psychiatre et/ou un psychologue » ? Ou qu’il y ait « 10 % d’absentéisme » ?
Une situation que ne nie pas Dominique Rossi : « Cette souffrance est réelle. Mais on ne soigne plus les gens comme il y a 30 ans. Avant, on pouvait garder 3 semaines quelqu’un qui venait d’être opéré. Aujourd’hui, il peut sortir dans les 48 heures. De cette réorganisation, on attend un retour sur investissement. En faisant en sorte, en avançant au fur et à mesure, que cela impacte le moins possible les personnels. » Mais, quand « il faut attendre des mois pour une consultation », quand « des interventions sont annulées faute de personnel », comment comprendre cette « saignée » ? « Même FO monte au créneau, siffle un syndicaliste. A Marseille, FO, syndicat oppositionnel ! »
Reste que fin mars, dans une manifestation marseillaise, le seul médecin croisé, c’est un « interne » : « Vu le manque d’effectif, difficile, surtout quand on est étudiant, de se mobiliser. Mais les langues se délient. Parce que nos conditions de travail se dégradent. On travaille plus de 60 heures par semaine au lieu de 48. L’hôpital est géré comme une entreprise. Au détriment de la proximité. »
Pour Jean-Marc Coppola (PCF), qui siégeait au conseil d’administration de l’AP-HM quand il était élu à la Région, « l’hôpital subit le même sort que les autres services publics. Nous avions encouragé les jeunes à se former aux métiers de la santé : 3 ans plus tard, la plupart de ceux qui sont passés par le public ont démissionné ou rejoint le privé ». Ce qui n’empêche pas une future infirmière de postuler à l’AP-HM : « Les locaux sont pourris et on est mieux payé dans le privé mais le boulot est passionnant. »
Témoignage d’un cadre de santé passé de l’AP-HM au privé : « Au bout d’un an, j’ai craqué. Car j’ai retrouvé la même chose. En pire ! » Idem à l’hôpital militaire de Laveran : « Chez nous, à la culture du sacrifice du soignant s’ajoute celle du silence propre aux militaires. Mais des fois, on craque. Quand notre chef de service nous a reproché de ne pas avoir fait notre chiffre, je lui ai proposé de péter la jambe d’un vieux pour faire remonter les statistiques… »
Un esprit d’initiative qui devrait plaire au patron de l’Agence régionale de santé, Claude D’Harcourt. Qui, avant d’atterrir en Paca, s’était illustré en Lorraine en emmenant ses troupes à… Verdun ! Auparavant, cet ancien de la préfectorale et du ministère de l’Intérieur, s’était fait un petit nom en se faisant virer de l’Administration pénitentiaire pour avoir dénoncé publiquement les tenants de la « vulgate foucaldienne ». A passer de la prison à l’hôpital pour y appliquer les mêmes recettes, il doit être comme un poisson dans l’eau !
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°161, daté avril 2018