FN : baston dans les bastions
« C’est qui le p’tit gros ? », s’interroge un couple. Ce matin-là, le sénateur-maire de Fréjus David Rachline fait un crochet à Marseille pour épauler un candidat FN : « On n’arrête pas, soupire l’ex-directeur de campagne de Marine Le Pen. Cet après-midi, je vais soutenir Jean-Lin Lacapelle à Vitrolles. » En vain. Pourtant parachuté dans une « circo » plutôt favorable, le « nettoyeur » – il est responsable des « fédérations » – ne se qualifiera pas pour le 2nd tour. « J’ai un point commun avec les autres, la démobilisation de nos électeurs, note Lacapelle. Mais aussi une particularité » : la candidature de Jacques Clostermann soutenue par Jean-Marie Le Pen. Avec 4 %, l’ancien pilote a empêché le parachuté d’atterrir.
Comme les emmerdes ça vole en escadrille, c’est aussi du côté de Vitrolles qu’ont fleuri tracts et affiches qualifiant Stéphane Ravier de « traître » ou « kollabo ». « Les élucubrations d’un ancien », crache le sénateur marseillais, les jugeant sans importance. Comme les candidatures, dans son secteur, des anciens de sa majorité, Antoine Maggio et Karine Harouche.
Battu par « Alexandra Macron » (sic) et cachant mal sa déception, celui qui va devoir choisir entre le Sénat et sa mairie cite, à un journaliste anglais, du Napoléon : « Mourir n’est rien mais vivre vaincu et sans gloire, c’est mourir tous les jours. » Sale ambiance. Surtout ici. Car si Marine permet au FN du nord de sauver les meubles, en Paca il fait Fanny.
La discipline ou l’anarchie
Emblématique ? Au transfuge de Debout la France, Laurent Jacobelli, venu confirmer sa défaite à Gardanne au siège marseillais du FN, une militante demande : « Vous restez quand même avec nous ? » Sourire crispé : « Évidemment ! Cela fait deux mois que j’ai adhéré ! Un choix si lourd de conséquences qu’il est presque inéluctable ! »
Sans parler des affaires ni même de la procédure lancée par d’anciens frontistes (dont le marseillais Laurent Comas) contre les « reversements » au profit du FN, derrière l’unité de façade et la « réflexion, sur le parti, son nom, son organisation, sa ligne, ses courants », les tensions, ravivées par les élections, sont encore palpables.
Dans le « 06 » où, suite au dérapage d’un proche de l’ex-identitaire Philippe Vardon, Benoît Lœuillet (et à son exclusion), un « audit » devait être diligenté, on renâcle à parler des « bisbilles agitées par ceux qui ne sont plus là », nous dit-on au sein de la « 3ème fédération de France ». Et un frontiste niçois de botter en touche : « N’ayant pas été investi aux législatives, je me suis un peu… désinvesti. »
Sans surprise, ce sont les deux plus grosses fédérations, les Bouches-du-Rhône et le Var, qui défrayent la chronique. « Le FN est un parti "familial". Et Ravier le gère d’une manière très autoritaire, uniquement avec son entourage », ose un militant « au placard ». Ce que le « dictateur nord-phocéen » nie, mettant en avant les « nouvelles têtes » pour faire oublier celles tombées. Mais, quand lui est demandé s’il se verrait patron du Front, il réplique : « Vous voulez me voir fusillé ?! Au FN, ce qui compte, c’est la discipline, la loyauté. Il y a une présidente qui écoute mais qui, à la fin, tranche. C’est comme ça que ça marche. Sinon c’est l’anarchie. »
Idéologie homogène
Même topo dans le Var : « Tant que vous êtes un bon petit soldat, ça va. Mais si vous osez tenir tête, c’est fini », explique Virginie Sanchez, suspendue après une altercation à La Seyne-sur-Mer entre l’un de ses militants et Frédéric Boccaletti, le patron du FN varois. Il faut dire que, dans la circo de ce dernier, elle a refusé de retirer sa candidature pour être investie aux législatives. Pour elle, « le FN a grandi trop vite. Et n’a pas la capacité à gérer ces conflits ».
Un point de vue que Boccaletti – battu comme Ravier par En Marche – partagerait presque : « Ici, il y avait 10 élus, 200 militants. Aujourd’hui, on a une centaine d’élus et des milliers d’adhérents. Il y a eu un boom parfois compliqué à gérer. Mais, ce qu’on ne supporte pas, même si on est dans le sud et qu’ici, on s’emporte vite, c’est de voir sur la place publique ce qui se règle en famille. » Et d’ajouter : « A chaque scrutin, on a des anciens qui sont déçus, des nouveaux qui protestent : les enfants gâtés du FN. Pour les municipales, on va y être attentif… »
Dans le Vaucluse, depuis le retrait – pour raisons « familiales » – de Marion Maréchal (nous voilà)-Le Pen, le seul député d’extrême droite élu, c’est le maire d’Orange, Jacques Bompard. Son ancien avocat, le maire FN de Camaret, Philippe de Beauregard, est partagé : « On paye le débat de l’entre-deux-tours, le cafouillage autour de l’euro, le retrait de Marion… Mais ce n’est pas si mal. Face à Bompard, on manque la qualification de peu. Et dans la circo de Marion, on échoue d’un cheveu. » Lui qui appelle de ses vœux le retour de la « nièce » ne redoute pas « une nouvelle scission. Ici, le FN est idéologiquement homogène ».
Alors, en attendant un premier bilan cet été et le congrès de 2018, Lacapelle conclut : « Évidemment, on est déçu et, en Paca, on n’a pas atteint nos objectifs. Maintenant – et le fait qu’il n’y ait pas d’élection va nous y aider – on va avoir du temps pour travailler. Notamment du côté des fédérations. Je suis déjà intervenu dans une trentaine où j’ai remplacé les secrétaires et il m’en reste encore une dizaine… » Et un frontiste, au regard de la longévité de Ravier et de Boccaletti, de philosopher : « C’est comme les cadres à la SNCF. Au bout d’un moment, ça fait du bien de bouger ! »
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°153, daté juillet-août 2017. Pas de presse pas pareille sans votre soutien, abonnez-vous !