Faut pas s’effondrer !
Une voiture qui ne cesse d’accélérer sur une route qui se détériore jusqu’à ce qu’un seuil irréversible la fasse dégringoler. C’est par cette métaphore que Pablo Servigne, coauteur de Comment tout peut s’effondrer, résume, ce 9 mars à Marseille, sa théorie de l’effondrement. Le grand amphi de la fac Saint-Charles est bien rempli dans le cadre d’un colloque sur « l’urgence écologique » organisé par la France Insoumise. La voiture c’est notre société capitaliste et la route, la biosphère qui la supporte.
Dans l’assemblée, il y a les convaincus de longue date, parfois jusqu’à une overdose d’angoisses à l’idée d’un glissement vers le chaos « déjà à l’œuvre ». D’autres, quelques gilets jaunes et nouveaux engagés dans Alternatiba, mouvement qui promeut les alternatives écologiques, sont venus là en curieux. Il y a aussi les convaincus de la dernière heure. Lycéens et étudiants se préparant pour la « grève pour le climat ». « Nous jeunes, sommes obligés d’endosser le rôle des adultes. Ceux qui devraient nous protéger », pose d’un ton grave Lunell, marseillaise de 16 ans, à la lecture d’une déclaration commune.
On dénombre aussi les tout nouveaux de la galaxie des désobéissants écolos du mouvement Extinction Rebellion. A prononcer à l’anglaise s’il vous plaît. Acronyme : XR. Le mouvement a été initié outre-manche en octobre. Et il gagne déjà Paca, avant même son lancement officiel en France le 24 mars à Paris. Sébastien Llorca, venu de Manosque avec une demi-douzaine de camarades, reconnaissables aux deux triangles dans un cercle en forme de sablier qu’arborent leurs t-shirts, en fait partie. Pour ce prof de science politique, d’anglais et de droit qui exerce à Aix-en-Provence, XR, « c’est ce que l’on attendait en terme de radicalité et de désobéissance. C’est un mouvement qui ne se cache pas derrière son petit doigt. Il ne se fait pas d’illusions sur le capitalisme vert ». Des actions qui n’auront pas pour objet de demander aux politiques d’agir mais qui pointeront plutôt la responsabilité des grandes entreprises, sont déjà promises.
Mais l’effondrement aura-t-il bien lieu ? Alex Robin qui vit au sein de la communauté agricole autogérée de Longo Maï, depuis sa création en 1974, sur une colline au dessus de Forcalquier (04), « garde toujours le doute. Dans les années 1970, la grande alerte faite par René Dumont concernait la démographie », se souvient celui qui est aussi journaliste à Radio Zinzine. Et les prédictions de Dumont, premier candidat écologiste à une présidentielle, ne se sont pas encore réalisées…. « Et puis il peut y avoir une météorite ou une éruption comme le Pinatubo. Il y a des données qui nous échappent ! » La théorie de l’effondrement nourrit-elle pour autant la réflexion politique au sein de Longo Maï ? « Pas spécialement. Même si le choix de l’habitat collectif peut être une réponse plus ou moins consciente selon les personnes chez nous », poursuit Alex Robin.
Sur son exploitation, la ferme de Gratte Semelle à Tarascon, Philippe Chansigaud est déjà confronté aux symptômes « tous les jours ». Son cheptel d’abeilles subit des grosses pertes et il est obligé d’arroser de plus en plus fréquemment ses oliviers. « Ça s’est accéléré. Tout est en avance : le ciste, le romarin, les amandiers déjà en fleur », déplore-t-il fin mars. La crise écologique, avec son association pour la défense de l’environnement rural (Ader), il la dénonce depuis des décennies. Les manifestations des jeunes pour le climat le rassurent-elles ? « Il y a une prise de conscience mais pas de changement d’attitude, peste-t-il. Ils sont là avec leur smartphone et leur tablette et en même temps leurs pancartes. »
« Ils veulent faire prendre en compte une meilleure façon de se loger etc., et ça, c’est déjà bon à prendre, considère pour sa part Alex Robin à propos des lycéens qu’il a interviewés à Manosque. La plupart venaient du lycée international, [conçu pour l’accueil des enfants des personnels du réacteur expérimental de fusion nucléaire NDLR], alors quand je leur parlais d’Iter, ils ne voyaient pas la contradiction. » Pas sûr, pourtant, qu’une société écologique résiliente soit compatible avec la croyance techno-scientiste en une énergie « des étoiles » offrant des ressources infinies…
Pierre Isnard-Dupuy (Collectif Presse Papiers)
Enquête publiée dans le Ravi n°172, avril 2019