« Faut continuer de chauffer la salle ? »
09:30
Pendant qu’Emmanuel Macron file, ce 24 juin, vers les quartiers Nord de Marseille visiter une agence Pôle Emploi, Jean-Yves Le Drian, son ministre des Affaires étrangères, achève l’ouverture de la seconde journée du forum du Sommet des deux rives (lire ci-dessous). Déjà en retard à cause du périmètre de sécurité autour du palais du Pharo (plusieurs centaines de CRS), qui surplombe le vieux port de Marseille, le grand reporter du Ravi est, lui, bloqué à la grille d’entrée. Un couteau est resté dans le fond de son sac au retour d’un pique-nique familial…
09:40
Brushing parfait et micro à la main, le modérateur de la matinée lance la première table ronde : « Construire ensemble une Méditerranée durable ». Parmi la petite dizaine d’intervenants installés sur la scène de l’auditorium enterré – dont deux banquiers, trois ministres, un ambassadeur et un fonctionnaire européen -, une seule femme.
09:52
Le visage jovial de Khemaeis Jhinaoui se crispe un peu. « La Libye vit une guerre civile sous le regard indifférent de la communauté internationale, la crise [économique] a creusé le fossé entre le Nord et le Sud, les mobilités sont résumées à une simple dimension sécuritaire », liste le ministre des Affaires étrangères tunisien. Avant de conclure en retrouvant le sourire : « Les projets sélectionnés ne vont pas résoudre les problèmes de chômage, mais nous avons un agenda positif. » C’est déjà ça.
10:05
Parce que ça ne coûte rien, le secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, une autre institution inutile, appelle à une « Méditerranée plus propre, plus durable, plus solidaire ».
10:25
Deuxième table ronde : « Soutenir la jeunesse et l’innovation ». La nouvelle fournée d’intervenants monte sur scène au son d’une musique électro-pop. L’égalité des sexes s’améliore : il y a cette fois deux femmes sur dix invités.
10:41
Il est question de « connectivité », de « fracture numérique », « d’impact social », de « donner conseil aux jeunes pour devenir entrepreneurs », de start up, de « business angels digital ». La « relance du dialogue méditerranéen » voulue par Emmanuel Macron est finalement très économique…
11:03
Les journalistes se font virer de la « salle des pas perdus » par un cerbère inquiet pour son matricule. Leur périmètre est limité à leur salle de presse et à l’hémicycle. Dommage, l’inénarrable Jean-Noël Guérini s’y promène, visiblement à la recherche d’alliance pour sauver son poste de sénateur et peu touché par son récent renvoi en correctionnelle, au côté de son frère, dans un des volets de l’affaire qui porte leur nom.
11:24
Après un débat avec la salle expédié en quelques minutes, place à la troisième table ronde : « Valoriser les héritages communs. » La mixité s’améliore encore, avec deux femmes sur six invités. Le modérateur jubile pour un tout autre exploit : « Je suis un bon capitaine, j’ai rattrapé notre retard. »
11:37
Ismail Ould Cheikh Ahmed, le ministre des Affaires étrangères de Mauritanie, achève une intervention entièrement consacrée à rendre hommage à ses hôtes : de Jean-Claude Gaudin à Jean-Yves Le Drian, sans oublier Emmanuel Macron et « sa vision exceptionnelle ».
11:54
L’arrivée d’Emmanuel Macron approche, ça s’agite fébrilement en coulisse : après avoir prévenu que le service de presse élyséen prenait le relais et commencé à virer la presse locale, la com’ de la préfecture rappelle tout le monde.
12:05
Faute de président, un débat avec la salle s’installe. La place laissée aux jeunes méditerranéens est au centre des interventions. « Parler de jeunes, ça les enferme, alors que les compétences, ce sont eux qui les ont », tacle Aissata Lam, la jeune présidente de la chambre de commerce de Mauritanie et cheffe de file de son pays pour le sommet. Avant d’interroger : « Etes-vous prêts à nous laisse diriger ? » Les louvoiements et silences sur scène en disent long.
12:10
Réponse en conclusion du sommet. Sur les dix chefs de file qui grimpent sur scène, seul deux ont une trentaine d’années.
12:17
Le pool presse de l’Elysée et ses brassards rouges investissent l’auditorium. Certains sont armés de téléobjectifs dignes des paparazzis de « Mimi », la communicante préférée du couple Macron. Suivent rapidement les élus et personnalités marseillais et d’ailleurs, dont bon nombre de prétendants aux municipales : parlementaires de tout bord, dont une belle brochette LREM, le préfet en tenue de gala, le président d’Aix Marseille Université, etc. Les deux s’entassent au pied de la scène, empêchant tout mouvement. Résultat, Mélenchon bougonne en découvrant que son voisin est le RN Ravier !
12:26
Les chefs de file ont de plus en plus de mal à meubler. « La parole est libre », tente le modérateur. « Faut continuer de chauffer la salle ? », rigole un insolent.
12:30
Silence, smartphones au garde-à-vous ! Encadré par son ministre des Affaires étrangères et un Jean-Claude Gaudin tout sourire et en écharpe tricolore, Jupiter fait son entrée au son de la techno mielleuse du jour et sous les applaudissements.
12:49
Le tour de parole conclusif des chefs de file se poursuit. Au tour d’Abderrahmane Metboul pour l’Algérie. S’il pousse la flagornerie à citer Paul Ricœur, le philosophe préféré d’Emmanuel Macron, cet économiste pique : « Une des personnalités qualifiées algérienne n’a pu obtenir de visa pour le sommet. » Jambes croisées, l’ancien ministre le regarde dans un sourire figé.
13:25
Le dernier discours revient au jeune Libyen Mohamed Fathi Alserkeek. « J’espère que nous verrons les effets de ce sommet dans 10 ans », prévient ce diplomate « junior » de la Ligue arabe, selon son CV. Avant de sortir la brosse à reluire : « Vous êtes le plus jeune chef d’Etat, j’espère que vous saurez nous inspirer. » Méfi, beaucoup en France en sont revenus…
13:28
Le modérateur passe la parole à « monsieur le président ». Attaque lyrique d’Emmanuel Macron : « Qu’une Mauritanienne cite Brel, une Italienne Casablanca, une Maltaise Pascal, la Méditerranée est là ! » Dans une culture exclusivement française ?
13:35
« Notre histoire s’est fracassée sur des problèmes environnementaux, les nationalismes, les questions migratoires », liste Jupiter. Ses solutions ? « Retravailler une histoire et une mythologie commune », développer « le dialogue entre villes de la Méditerranée », recréer « une philosophie de comptoirs ». On se croirait effectivement au Flore…
13:42
Finalement, la référence est plutôt le « grand débat » qui a accompagné le printemps des gilets jaunes. Séduction, double discours, promesses, Emmanuel Macron en ressort les ingrédients. Après avoir donné « rendez-vous dans six mois pour aller encore plus loin ! », il assène : « c’est vrai que la Mare nostrum donne espoir mais on ne peut pas dire que c’est bien pour les entreprises [et] mal pour les migrations. » Tout en fermant les frontières. Le bonheur du « en même temps »…
13:45
Le président boit un coup avant de faire monter sur scène tous les ministres des Affaires étrangères des dix pays du « 5+5 ». Pendant que Jean-Yves Le Drian lui montre la déclaration finale, il hoche de la tête, envoie des clins d’œil à Gaudin.
13:50
Les journalistes sont renvoyés dans leur salle de presse. Les médias étrangers n’auront pas accès à leurs délégations. Finalement, seule la sénatrice PS Samia Ghali vient au contact. Pour s’exprimer sur… les municipales.
Jean-François Poupelin
Le forum de la Méditerranée
Le forum est la réunion finale du sommet des deux rives initié par Emmanuel Macron en février 2018 pour « relancer » le dialogue méditerranéen, entre cinq pays de la rive sud (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye et Mauritanie) et cinq de la rive nord (France, Italie, Espagne, Portugal, Malte), le fameux « 5+5 ». Quelques fondations et institutions financières internationales complètent. Car le dialogue concerne avant tout le développement des relations économiques entre les deux bords de la Méditerranée. Le CV des représentants de la société civile est à la hauteur : une PDG de Google, une représentante de la famille Ricard, des anciens ministres, des représentants du monde de l’entreprise, des universitaires, des « experts » en innovation sociale…
Le président de la république
Emmanuel Macron depuis mai 2017. Ministre de l’Economie de Manuel Valls (2014-2016), banquier d’affaires. 41 ans, marié, énarque.
Le forum soumis au contrôle du Ravi
Durée : 4h45
Temps de parole d’Emmanuel Macron : 14 minutes
Public : 289 personnes, dont une centaine de journalistes, une vingtaine de G.O. et autant d’élus.
Ce contrôle technique de la démocratie a été publié dans le Ravi n°175, daté juillet-août 2019