Etre insoumis, c’est pas si facile
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L’anthropocène, le désir mimétique, la pensée matérialiste, la maîtrise du temps… : c’est un Mélenchon en grande forme – durant deux heures lors d’une conférence sans notes ni prompteur – qui fête ses retrouvailles avec les Insoumis dans l’auditorium archicomble du parc Chanot à Marseille. Ce 23 août, le premier jour de l’université d’été de La France Insoumise (LFI) se déroule à huis clos, sans journalistes. Et le député marseillais de rappeler des principes : « Nous ne sommes pas un parti mais un mouvement gazeux qui doit être inclusif, éclaireur, évolutif. Nous ne sommes pas figés. Nous devons inventer. Nous sommes des pionniers… »
Avec plus de 3000 militants, 150 ateliers et conférences, la démonstration de force est réussie. Au même moment, l’extrême droite, minée par les difficultés financières, renonce à son université d’été : Marine le Pen prononcera à Fréjus, le 16 septembre, un simple discours de rentrée. A contrario, tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes insoumis possible ? « Quand on a un fonctionnement qui fonctionne, mieux vaut ne pas trop y toucher, se réjouit Prune Helfter-Noah, ex-candidate aux législatives à Nice. Ne reconstituons pas les travers des partis politiques, avec leurs courants, leurs chapelles, leurs sections, leur lutte des places. »
Adrénaline et déception
Pas si facile ! La publication d’une liste de candidats aux européennes a créé des remous. La Marseillaise Sarah Soilihi, ex porte-parole nationale, déçue de n’être pas en pôle position, a préféré se retirer. Absente à Chanot, elle est restée injoignable (Cette enquête a été publiée en septembre 2018. Débat novembre, Sarah Soilihi a annoncé son ralliement à Génération(s), le mouvement de Benoît Hamon). « L’activité politique génère de l’adrénaline mais aussi des déceptions. On ne devrait pas forcément les médiatiser », poursuit Prune Helfner-Noah. Jeune quadra, énarque et juriste, elle a été secrétaire de section du PS à Tokyo où elle travaillait pour Médecins du monde. Désormais à Marseille, elle s’investit à LFI dans les « Ateliers des lois » afin de « faire remonter des propositions auxquelles les spécialistes n’auraient pas pensé, un dispositif dont on pourrait s’inspirer aux municipales ».
Car si débute une campagne européenne, LFI va devoir aussi sans tarder projeter la bataille suivante pour s’implanter localement. Or comment débattre de l’échéance dans un « mouvement gazeux », en l’absence de tout cadre fédérant la centaine de « groupes d’action » (GA) parsemés en Paca ? « L’avantage c’est la grande autonomie des GA, l’inconvénient c’est qu’il n’y a pas de liens pour se connaître, reconnaît Catherine Aubry. Dans le Var, faute de responsable départemental, nous avons créé une coordination informelle. » Journaliste retraitée, candidate aux législatives, aujourd’hui sur la liste des européennes, elle a organisé, début juillet, un pique-nique sur la base nautique de Fréjus pour rassembler tous les GA varois.
Une initiative qui a dû s’autofinancer « en faisant tourner le chapeau ». Car si le national fournit gratuitement son matériel de campagne, il n’a toujours pas alloué de moyens aux groupes locaux. « Il n’y a pas de centralisation. Je n’ai jamais reçu de coup de fil pour me dire quoi faire », certifie Kamel Bendjeguelal, 39 ans, militant à Gardanne (13), chauffeur routier, et candidat LFI aux européennes. « La débrouille appelle la débrouille, se réjouit ce bénévole de Fakir, proche de François Ruffin. Est-ce que les moyens pour faire de la vieille politique, avec ses affiches et ses meetings, sont le plus important ? Les gens ont surtout besoin de concret, d’autogestion. Dans notre GA, on ne vote jamais. Et on peut y être minoritaire sans avoir tort. »
Malaise et action
Laurent Thérond, lui aussi candidat LFI aux européennes, 54 ans, investi dans le GA de l’Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse où il s’était présenté aux législatives, reconnaît que « pour l’instant, concernant les européennes, c’est le flou artistique. Les thèmes de campagne ne sont pas définis ». Jusqu’ici jamais encarté, viticulteur et porte parole de la Confédération paysanne, tout en soulignant qu’il « faudra améliorer » le fonctionnement de LFI, il résume un point de vue très partagé : « Ce qui nous fédère dans l’action c’est le programme, "L’avenir en commun", dans lequel j’ai enfin retrouvé ce que je pensais depuis des années. »
Dans les travées de l’université d’été, les propos d’Hendrik Davi tranchent : « La question centrale reste la démocratie. Et il y a un malaise à LFI. Qui décide de l’ordre du jour ? Comment débat-on politiquement des insatisfactions ? » Ce chercheur, co-rédacteur du livret national de LFI sur l’enseignement supérieur, syndicaliste CGT, a battu au 1er tour des législatives à Marseille le dauphin de Jean-Claude Gaudin. Critique, il reste séduit par LFI : « J’ai été au NPA, chez les Verts. Aucun parti n’est vraiment démocratique. Les anars eux-aussi sont les premiers à ne pas respecter les décisions d’une assemblée générale. Mais la tâche de LFI est de structurer démocratiquement un mouvement. Même si je n’ai pas "la" solution ! »
Les militants s’impatientent surtout de faire du prochain scrutin un « référendum anti-macron ». Bien placé sur la liste des européennes, le Marseillais Bernard Borgialli, 46 ans, ancien ouvrier fraiseur, cheminot, ex secrétaire national de Sud Rail, se remet tout juste du conflit à la SNCF dont il n’a raté aucune AG : « Cette lutte n’a pas atteint son objectif mais le gouvernement, en y dévoilant son système de privatisation décomplexé, s’y est discrédité. » S’il est élu, comme les sondages l’annoncent, il fait un vœu : « réduire le déficit de confiance entre ceux qui triment au quotidien et ceux qui les représentent ». Pas si facile…
Michel Gairaud
Enquête publiée dans le Ravi n°165, daté septembre 2018