Et pourtant ils existent…

septembre 2012
Alors qu’économistes orthodoxes et critiques se sont affrontés à Aix-en-Provence cet été, la région Paca est-elle une terre d’élection pour ceux qui pensent les rapports marchands et la marche du monde autrement ? Enquête.

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Notre belle région, est, dans tous les sens du terme, un pôle d’excellence économique. Comment expliquer, sinon, la présence à Marseille, plusieurs années durant, d’une antenne de la Banque Mondiale ou la proximité plus que symbolique entre la fac d’éco et ce qui fut le Pôle Emploi le plus connu des chômeurs marseillais ? Aix n’est pas en reste. Et le 1er week-end de juillet cela a chauffé avec la tenue d’un côté des « Rencontres économiques d’Aix », organisées par le « Cercle des économistes » (1) et, de l’autre, des « Rencontres déconnomiques », un « off » irrévérencieux (2). Au prix d’échanges musclés avec la fac pour l’obtention de quelques salles, partisans de l’orthodoxie et économistes hétérodoxes se sont affrontés, les seconds refusant de débattre avec les premiers pour ne pas servir de faire valoir.

Reste que le casting des « Déconnomistes » est très parisien. Ce qu’admet l’organisateur, Dany Bruet (3). A l’origine, son idée, « c’était d’inviter à venir débattre à Aix Renaud Lambert » du Monde Diplo suite à un article consacré à ce que Laurent Mauduit de Mediapart a appelé « Les imposteurs de l’économie ». Mais, très vite, il a vu le Diplo prendre les choses en main : « Comme il fallait aller vite, on s’est entendu sur un certain nombre d’intervenants, sans prendre le temps d’aller chercher des économistes dans le coin. » De quoi froisser quelques susceptibilités, comme cet enseignant qui refusera tout entretien, estimant que « la plupart des économistes critiques disent des choses contestables, ce qui contribue à affaiblir la critique rationnelle de l’ordre économique actuel », ce point de vue étant, selon lui, « inaudible pour les militants de gauche qui se raccrochent aux discours les plus faux et les plus simplistes en matière économique ».

N’y aurait-il donc pas dans nos contrées d’économistes critiques ? Certes, on compte, parmi les « Déconnomistes », Fabrice Aubert, responsable des cadres CGT dans les Bouches-du-Rhône et économiste « marxiste ». Pour lui, « l’économie n’est pas une science exacte et les économistes loin d’être neutres ». Et de fustiger ceux qui font « du marché un dogme » et qui « camouflent leur vision idéologique derrière une prétention scientifique ». Mais il reconnaît sans peine « l’absence d’économistes alternatifs d’envergure dans la région ». En effet, d’après lui, « l’influence des marxistes et des keynésiens n’a cessé de se diluer ». Notamment depuis la création en 1973 de la faculté d’économie appliquée dont le but était, dixit les ultra-libéraux, d’« échapper à la pensée universitaire héritée de mai 68 ». Un phénomène accentué par le fait « qu’en tant qu’universitaire, votre carrière sera fortement conditionnée par votre affichage idéologique ». Dernier facteur selon lui : « Le peu de lien entre théorie et pratiques dans une région où la classe ouvrière s’est longtemps méfiée des intellectuels. »

Et pourtant, comme les « anarchistes » de Léo Ferré, « y en a pas un sur cent » mais les économistes alternatifs, en Paca, « ils existent ». Outre une représentante des « économistes atterrés » (4), Fabienne Orsi, et une figure de la décroissance, (Hervé-René Martin, auteur de « La mondialisation racontée à ceux qui la subissent »), on compte dans la région des universitaires membres de l’association française d’économie politique (Afep) dont le mot d’ordre est : « A quoi servent les économistes, surtout s’ils pensent tous la même chose ? » (5) Ainsi, Serge Waléry, qui enseigne l’économie à Aix, a prévu se passer le week-end du 7 juillet à Paris… pour le congrès de l’Afep. « Je milite pour qu’il y ait du pluralisme à l’université, souligne-t-il. Il faut qu’on sorte d’une vision dogmatique et technique de l’économie. Et que l’on s’ouvre aux autres disciplines. On renouera alors avec le terrain dont on est, en général, totalement coupé lorsqu’on est économiste. En attendant, la place des économistes hétérodoxes à Aix-Marseille est marginale. Paradoxalement, ils auraient presque plus de place dans une fac plus petite, comme à Nice… »

Se partageant entre Arles et Avignon, Patrick Gianfaldoni est, lui aussi, membre de l’Afep : « Le Cercle des économistes est une machine de guerre bien huilée, rassemblant des libéraux et des néo-keynésiens, au service d’une pensée unique qui ne propose aucune alternative. Mais en face les économistes hétérodoxes sont isolés, atomisés. Il n’existe que des réseaux éclatés, Aix-Marseille n’étant pas comme Toulouse ou Lille un pôle emblématique d’une pensée économique alternative. » Voilà pourquoi il milite, avec l’Afep, « pour que toutes les sensibilités économiques aient le droit de s’exprimer » à la fac. Mais aussi, pour qu’à des « logiques descendantes » qui voient des économistes parisiens prêcher la bonne parole en province, répondent des « logiques ascendantes » comme au sein des universités populaires auxquelles il participe.

Alors que l’économie sociale et solidaire (ESS) a désormais un ministre, on trouve à la fac d’éco de Marseille un master d’économie sociale et solidaire, animée par Nadine Richez-Battesti. Hélas, déplore-t-elle, « l’économie sociale et solidaire, une économie a-capitaliste, n’intéresse que peu les économistes. De fait, le formatage dans cette discipline tient moins aux conclusions qu’aux méthodes, à savoir le recours à des modèles. Or, nous, on part souvent du local, d’expériences concrètes. D’où un déficit de théorisation. Et donc de visibilité ».

En outre, reconnaît-elle, « même s’il y a dans les départements alpins des expériences intéressantes, notre région, marquée par la pauvreté, les inégalités et un paternalisme encore présent, est loin d’être le pôle le plus actif de l’ESS (6). La débrouille, la survie, ça n’incite guère à la solidarité ». Elle est néanmoins « surprise de ne pas avoir été sollicitée par les Déconnomistes. Alors que partir de cas concrets, comme d’une Amap où l’on repense le prix et les rapports marchands, c’est passionnant ».

Même son de cloche à l’Apeas, l’agence provençale pour une économie alternative et solidaire (7), à l’origine, entre autres, de Festi’fric, un salon sur les monnaies alternatives (8). « On a recensé et épaulé un millier de structures et d’initiatives qu’on peut classer dans l’ESS, ce qui veut dire qu’il y en a probablement trois fois plus, explique Bruno Lasnier, le directeur de l’Apéas. Ce sont des initiatives concrètes qui ne débouchent pas forcément sur une réflexion théorique alternative sur l’économie. Pour faire ce saut qualitatif, on manque de personnes capables de jouer le rôle de vulgarisateur faisant le lien entre la théorie et la pratique. Certes, il y a Attac mais ils sont surtout dans une critique de la finance. » En témoigne l’émergence des collectifs pour un audit citoyen de la dette publique (9).

Alors, au-delà de l’université, Bruno Lasnier pointe du doigt les politiques : « Lors des dernières élections, on a interrogé les candidats sur l’économie sociale et solidaire, un sujet qui devrait les préoccuper, ne serait-ce que parce qu’on compte plusieurs milliers de personnes dans les Amap. Or, au Front de Gauche, on a du mal à voir émerger un modèle économique cohérent. Et, chez les écolos, malgré leur proximité historique avec l’ESS, celle-ci, dans leur programme, ne fait que trois pages ! » En clair, encore un effort, camarades.

Car, en face, certains ont clairement choisi leur camp. Alors que s’y prépare déjà l’édition 2013 des « Déconnomistes », la ville de la très à droite Maryse Joissains, Mme le maire UMP sèchement battue lors des législatives, a aussi accueilli fin août la 32ème Université d’été de la nouvelle économie (10), des ultra-libéraux qui interviennent, pour certains, sur Radio Courtoisie, la radio de « toutes les droites » et qui gloseront à l’envi sur « libre échange et progrès social ». Pas de doute : chez la Morano de Paca, on aime l’économie quand elle pense dans les clous.

Sébastien Boistel

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