Et la palme est décernée au business des tournages
Bouillabaisse politique, corruption, mafia. L’image caricaturale de la deuxième ville de France véhiculée par la première saison de Marseille n’a suscité aucune réaction de la part de la classe politique locale. Et pour cause ! La série produite par la société américaine Netflix aurait engrangé 2,8 millions d’euros de retombées économiques (hôtellerie, restauration, transport, tourisme, etc.), emplois directs et indirects compris.
Et c’est bien le plus important pour Jean-Claude Gaudin, lui-même véritable personnage pagnolesque. Tout en hurlant avé l’accent au « Marseille bashing », depuis 2013 la majorité du sénateur-maire LR de Marseille fait des tournages une priorité économique aux côtés du tourisme, du commerce et de la construction immobilière. Avec 362 tournages en 2014 (pubs et reportages TV compris), le cinéma et l’audiovisuel ont généré plus de 200 millions d’euros de revenus directs et indirects dans la deuxième ville de France. Le montant est à peu près l’équivalent pour les Alpes-Maritimes en 2015, où 2016 s’annonce également excellente. Derniers chiffres : selon une étude du Conseil régional (1), en 2009 le cinéma et l’audiovisuel, qui emploient directement 5000 personnes en Paca, ont engendré 168 millions d’euros de revenus touristiques en Paca.
Concurrence débridée
Ces résultats prometteurs aiguisent les appétits dans la deuxième région d’accueil de tournages, après l’Île-de-France, et la troisième pour les investissements, selon le réalisateur et patron de 13 Productions Cyril Pérez. Les services et les missions cinéma dédiées à l’accueil et à l’accompagnement des productions dans la région (mise à disposition de leurs carnets de professionnels, accompagnement sur les financements…) se sont ainsi multipliés sur le territoire ces dernières années. « Je n’aime pas le mot concurrence, car nous travaillons en réseau. Mais quand une production cherche un appartement ou une villa moderne, c’est celui qui sera le plus réactif et qui proposera le plus de services qui l’emportera », reconnaît Stéphanie Gac, la responsable de la commission du film Alpes-Maritimes-Côte d’Azur.
« S’il y a une concurrence entre nous en Paca, le secteur n’a aucune viabilité », balaie de son côté Florian Salazar-Martin, adjoint à la culture à Martigues (13), pourtant pressé d’annoncer l’adaptation de la BD Gaston Lagaffe sur son territoire et les millions d’euros de retombées espérés. L’élu porte la toute nouvelle plateforme cinéma du Pays de Martigues, qui doit développer une filière localement. Elle a le soutien de la métropole et travaille avec un secteur régional en pleine structuration, comme le réseau d’entreprises de création numérique Primi (effets spéciaux, post-production, production, recherche…) installé au Pôle Média de La Friche de la Belle de Mai et porté par des financements publics. L’initiative martégale comprend notamment les Studios de Provence et une école des métiers du cinéma de niveau bac +3. « La filière a zéro chômeur en Paca et une potentialité énorme, notamment grâce au crédit d’impôt (30 % sur les frais de production déléguée, Ndlr) qui a permis une relocalisation des tournages », explique l’élu. Qui s’intéresse de loin à la création régionale.
Maudits auteurs
Si le secteur se développe, c’est en effet sans les auteurs et réalisateurs de Paca. « C’est une équation étroite de faire rimer cinéma avec économie, on en oublie les acteurs locaux. Ce sont ceux que l’on vient voir à la fin pour se donner bonne conscience, estime le réalisateur marseillais Luc Joulé, également directeur artistique du festival aixois Images de villes. En Île-de-France ou en Bretagne, la profession y est mieux organisée et les collectivités locales proposent un meilleur accompagnement. » Et le producteur Cyril Perez de regretter : « A part la Région (qui investit 3,5 millions d’aides chaque année, Ndlr), dont c’est la compétence, les autres collectivités interviennent pas ou peu dans le soutien aux acteurs locaux, alors qu’il le faudrait. »
Créé il y a une douzaine d’années, le service cinéma de la Région a brutalement mis fin à l’accompagnement des auteurs et réalisateurs en 2013. « A l’époque, un rapport a conclu qu’aucun talent n’avait émergé en dix ans. Il y a eu une réorientation des aides à l’écriture ou des bourses de recherche vers la production », rappelle Jean-Christophe Victor, réalisateur et président de l’association des auteurs et réalisateurs du sud-est. Depuis, la profession s’est réorganisée, a créé un collectif qui réunit également les producteurs et les diffuseurs.
Elle a aussi renoué contact avec les services du Conseil régional. « Être prestataire de service ça ne va qu’un temps, il y a une nécessité à trouver des alternatives pour que les auteurs et réalisateurs puissent travailler ici », insiste le documentariste. Tout en restant d’un optimisme mesuré : « On a tenté de prendre contact avec les élus via la commission permanente de la culture, mais aucun lien ne s’est fait. » Avec une palme d’or dans le collectif, Estrosi, qui n’aime que ce qui brille, aurait été certainement plus réceptif…
Jean-François Poupelin
Contactés, ni la Région, ni le maire de Cannes, ni le service cinéma de la ville de Marseille n’ont donné suite aux demandes du Ravi.
1. Étude des retombées économiques et touristiques des tournages audiovisuels et cinématographiques en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Région Paca, 2011.
Enquête publiée dans le Ravi n°149 daté mars 2017