Entre le bois et les Corses
Par où commencer une enquête sur les Corses à Marseille ? Dans une boutique embaumant le fromage et la charcuterie ? Auprès des politiques dont le nom finit en « i » ? En se perdant dans le Panier, le quartier historique des Corses ? En suivant un véhicule immatriculé « 2A » ou « 2B » ?
Coincée entre le tribunal et la préfecture, direction la Maison de la Corse, une institution fondée en 1959 par feu le sénateur PS Bastien Leccia. Son président, Jean Dal Coletto, est intarissable sur une communauté qui compterait « entre 100 et 150 000 représentants à Marseille » (la plus importante de la région, devant Nice, Aix ou Toulon). Et qui, sans remonter jusqu’à la Renaissance, a transformé le Panier en « village », s’investissant non seulement dans la « marine », le « commerce » mais aussi la médecine, la justice.
Quid du « banditisme » et de la « politique » ? L’ex-commissaire se fait moins disert. Sinon pour reconnaître que « les deux ont pu être liés ». Et assurer qu’ici, « on ne fait pas de politique. C’est quoi, être corse ? C’est être né en Corse ? Avoir des ascendances corses ? Parler corse ? C’est avant tout une communauté de destin. Et, entre Corses, on se serre les coudes. Sans regarder les opinions des uns et des autres ».
Dont acte. S’il y a pu y avoir quelques bisbilles entre les différentes fédérations, aujourd’hui, la Maison de la Corse regroupe une trentaine d’associations. Et, sur son site, on trouve autant les annonces du Centre culturel occitan que celle de Corsu per vive, une association naissante sur Marseille dont les liens avec les nationalistes d’extrême droite de Leia Naziunale sont à peine voilés.
Tout sauf facile
Au-delà de cette filiation, ce qui interpelle, c’est l’objet : « Venir en aide aux Corses qui s’installent sur le continent dans leurs démarches administratives mais aussi pour trouver un emploi ou un logement, dixit sa présidente, Marie-Catherine Léonelli. Parce que, lorsqu’on arrive ici, c’est tout sauf facile. On dit qu’il y a de la solidarité entre nous. Mais, la Maison de la Corse, les associations, ça ne débouche pas sur grand chose. » D’ailleurs, Corsu per vive vise à « aider les Corses à retourner sur l’île. Même si, là-bas aussi, ce n’est pas facile ».
À la Maison de la Corse, on nous dit à mi-mot que cette association est loin d’être « représentative », lui préférant Inseme, « une association qui héberge les Corses quand l’un des leurs se fait soigner sur le continent ». Tout en reconnaissant recevoir « toute sorte de demandes. Comme ce compatriote qui vient de divorcer et qui veut s’installer ici pour voir son fils plus souvent. Son réflexe, ça a été de nous appeler ».
Pour Marie-Françoise Attard-Maraninchi, historienne spécialiste du Panier, « c’est le monde à l’envers. On a désormais besoin d’une association pour prendre en charge ce qui relevait auparavant de la solidarité spontanée. C’est comme la Scola Corsa. Si c’est à l’école qu’on apprend la langue, c’est parce qu’on ne la parle plus à la maison ».
Certes, d’après la chercheuse, il existe « encore des réseaux, essentiellement professionnels » et le « phénomène associatif » reste important. Mais, pour elle, ce « délitement » tient « à la dispersion de la communauté. Avant, les Corses s’installaient au Panier ou à la Joliette. À partir des années 70, ils ont commencé à se disperser ».
Symbolique ? Si les nationalistes corses de Régions & Peuples solidaires ont participé aux législatives sur le continent, c’est avec des candidats « hors sol » qui ont fait campagne depuis la Corse. Comme Anne Tomasi à Marseille : « Être Corse, c’est une appartenance. Et ce n’est pas parce que vous ne votez pas sur l’île que vous êtes moins corse. Mais on n’a pas réussi à trouver de personnes assez militantes pour être candidates. » D’où une campagne « par téléphone ». Et un score de « 0,5 %. Pardon, 56 voix. Et donc 0,17 %. Ce qui dit moins de la communauté corse à Marseille que du militantisme dans un contexte de désintérêt pour la politique ».
La corsitude secondaire
Ancien bras droit du socialiste Michel Vauzelle, l’ex-député européen (par ailleurs membre fondateur de la fédération Léo Lagrange) Frédéric Rosmini, lui, est « né en Corse et arrivé à Marseille à 7 ans. On s’est installé à la Joliette et on ne fréquentait que des Corses, essentiellement ceux de notre village. Dans tout exode, il y a regroupement. Mais, après 2 ou 3 générations, que reste-t-il de cet esprit communautaire ? Moi, je n’ai jamais été très diaspora. Celui qui pense qu’un Corse peut influencer le vote des autres raconte des craques. Le dernier qui jouait à ça, c’était Bastien Leccia. Il m’avait demandé de monter une amicale. Je lui avais répondu que j’avais autre chose à faire. »
Quid de l’ancien patron du Conseil général, Jean-Noël Guérini ? « C’est un trompe l’œil. Quand on est à la tête du 3ème plus gros Conseil général de l’Hexagone et du plus petit canton des Bouches-du-Rhône, assurer sa réélection grâce à un clientélisme plus territorial que communautaire n’est pas très compliqué. Aujourd’hui, je ne vois pas qui à Marseille pourrait convaincre un Corse de droite de voter à gauche et vice-et-versa. » Même analyse du sociologue spécialiste du clientélisme Cesare Mattina : « La corsitude est désormais secondaire. Il manque le "supplément d’âme" des communautés frappées par un génocide et l’exil. »
Emblématique : la macroniste Corinne Versini. Qui, avant de se faire battre par Mélenchon, se plaisait à rappeler ses origines corses : « Quand on est insulaire, on est contraint. Ça oblige à faire avec peu. Et à bouger. Ce qui donne un autre regard, une ouverture. » En revanche, la patronne d’un mouvement convoité un temps par les guérinistes assure qu’« en politique, être corse, ça ne change rien ».
Le clientélisme, la nationaliste Anne Tomasi le fustige. Même si, comme Corsu per vive, elle milite pour la « préférence corse ». Ce que ne goûte guère le patron de la Maison de la Corse. De fait, si les liens entre l’île et le continent n’ont jamais été aussi simples, les relations sont de plus en plus complexes. Ce que confirme notre historienne : « Avant, quand on quittait la Corse, c’est qu’on y était contraint. Notamment pour les études. Maintenant qu’il y a l’université, à Corte, lorsque, malgré tout, on part, c’est qu’on l’a, d’une certaine manière, choisi. »
Un politique assène : « Il y a un problème d’identité. Au 1er tour de la présidentielle, le FN est arrivé en tête en Corse. Parce qu’avant, les nationalistes occupaient ce terrain. D’ailleurs, aujourd’hui, face au racisme, mes enfants ne veulent même plus m’accompagner au village. » Et la chercheuse de conclure : « Ce qui serait intéressant, c’est de voir la part de Corses qui, ayant vécu ici, se font enterrer sur l’île. Parce qu’avant, il était hors de question de se voir inhumer ailleurs qu’en Corse. » Où terminer cette enquête ? Peut-être au cimetière…
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°153, daté juillet-août 2017. Pas de presse pas pareille sans votre soutien, abonnez-vous !