Ensemble, mais pas trop!
Les Comoriens représentent environ 10 % de la population marseillaise. La première génération est venue à la fin des années 70, principalement des navigateurs qui travaillaient au port. « Je suis arrivé en 1976, j’étais en 5ème et j’ai vu la communauté s’installer. La vague de migration s’est amplifiée à l’indépendance des Comores », explique Saïd Mchamgama fondateur et président du Conseil comorien de France (CCF). Ceux qui arrivent aujourd’hui sont souvent les enfants ou neveux de ceux qui sont déjà installés.
« On fait en sorte d’être « une machine d’intégration ». On accueille et on aide pour l’administratif et la recherche d’emploi. Notre but est d’insérer au mieux le primo arrivant dans la société française, explique Saïd Mchamgama. C’est une solidarité naturelle. Vous ne verrez jamais un comorien dormir à la rue, il y aura toujours quelqu’un pour l’héberger. » Même si, dans la communauté comorienne, on aide plus facilement une personne venant du village dont on est issu.
Pareils mais différents
Les Comoriens font figure d’exception car la solidarité intra-communautaire tient bien souvent plus du fantasme que de la réalité. Comme si une origine ou une religion commune n’était pas forcément un socle assez fort pour créer une similitude et une envie de faire groupe. « C’est très compliqué chez les Arméniens, car la nouvelle vague d’immigration est purement économique alors que la première est liée au génocide », explique Julien Harounyan, vice-président du Conseil de coordination des organisations arméniennes. Le paramètre culturel joue un rôle important. La dernière génération est empreinte de soviétisme, alors que les premiers venaient de Turquie. Cette fracture là est importante. »
Le combat pour la reconnaissance du génocide qui cimente la communauté arménienne n’est pas celui des nouveaux arrivants. « Il n’y a pas cette « transmission de la douleur » », souligne Julien Harounyan. Mais les nouveaux arrivants font à leur tour communauté entre eux dans des villes, comme Lille, où il n’y avait pas d’Arméniens avant. « Le phénomène est toujours le même, quand on a un boulot et un toit, on cherche ensuite à se rattacher à ses racines », poursuit le vice-président du Conseil de coordination des organisations arméniennes.
« La première génération d’Algériens considère les nouveaux migrants comme des indésirables et ne veut pas être assimilée à eux. C’est bien connu, le dernier arrivé ferme la porte, ironise Cherif Lounes, universitaire et associatif aixois, fils d’un ancien combattant de l’armée d’Afrique. Les différentes vagues de migrations ne se fréquentent pas entre elles. Vous ne trouverez jamais un étudiant algérien à Noailles, ni un vendeur de cigarettes à la sauvette clandestin aller dormir dans les quartiers Nord. » Les Algériens représentent la première « communauté étrangère » de France, ils seraient par exemple environ 300 000 à Marseille, mais trop hétérogène pour faire groupe.
« La communauté algérienne de Paca est en fait composée de binationaux, c’est ceux qui produisent de l’action ou de la réaction publique», expliquait Kamel Chachoua, chercheur au CNRS, sociologue et anthropologue spécialiste de la migration algérienne dans le Ravi n°164 spécial Algérie (juillet-août 2018). Ces derniers mois, les manifestations contre Bouteflika ont pour la première fois, réuni au moins physiquement toutes les vagues migratoires. « D’ailleurs, dans les manifestations, les derniers arrivés sont meneurs car ils connaissent les chants de rébellion qui ont débuté dans les stades de foot algériens, souligne Cherif Lounes. Et pour eux qui veulent retourner dans leur pays, la liberté de l’Algérie est une chose primordiale. »
Exploitation intra-communautaire
« De toute façon, on évite de diriger les demandeurs d’asile vers leur communauté car souvent elle leur donne des informations fausses ce qui peut avoir des répercussions terribles sur leurs démarches », précise une travailleuse sociale du Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) de Marseille, citant la communauté géorgienne qui conseillerait par exemple aux nouveaux arrivants de se débarrasser de leur passeport.
Et parfois de l’indifférence à l’exploitation, il n’y a qu’un pas. Mohamed (1), égyptien, en a fait les frais. Il a travaillé plusieurs mois dans un restaurant égyptien sans être déclaré, payé seulement pour une vingtaine d’heures hebdomadaires alors qu’il en travaillait 70. Sur les conseils d’un ami français, il insiste pour avoir un contrat. « J’ai demandé à ce que toutes mes heures soient notées. Et là on s’est mis à m’accuser de vol, et on m’a mis à la porte sans me payer », raconte la victime. Il découvrira par la suite qu’il n’est pas le seul de sa communauté, mais aussi des Syriens et des Palestiniens, à s’être fait avoir.
« Au sein des communautés il y a beaucoup d’exploitation », affirme Nagham Hriech Wahabi, directrice de l’Organisation internationale contre l’esclavage moderne (OICEM). Selon elle, dans les communautés maghrébines, des femmes viennent parfois pour se marier à un Français qui s’avère finalement violent. Elles se retrouvent ensuite sans papier, hébergées par la communauté avec des dérives souvent de mise en esclavage. Sur Avignon, OICEM recense de nombreux cas de camerounaises invitées en France par d’autres femmes de la communauté pour les mettre sur le trottoir. Elles représenteraient 40 % de la prostitution locale.
1. Le prénom a été changé
Samantha Rouchard
Enquête publiée dans le Ravi n°174, daté juin 2019