Embarqué avec Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen
Le local, qui ressemble à une ancienne salle de danse avec ses grands miroirs étalés tout autour de la pièce, renvoie encore l’odeur de peinture fraîche. Le sol vient d’être briqué. Aux murs, des affiches de propagande du Front national et d’autres arborant le joli minois de la présidente du parti sont placardées partout où c’est possible. Qu’on ne s’y trompe pas, ce soir Marine Le Pen est la vedette. Pourtant, c’est la permanence de sa nièce, Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen, élue députée en juin dernier à Carpentras, ainsi que le « QG » de la fédération vauclusienne du FN, qu’on inaugure ce 16 novembre.
Carpentras – 30 000 habitants – est la troisième ville d’un département qui a offert en 2012 les meilleurs résultats électoraux au Front national en France (1). Le parti d’extrême droite l’utilise aujourd’hui comme laboratoire en vue des élections municipales de 2014. Dans une ville coupée en deux électoralement suite à la création d’une nouvelle circonscription, Marion Maréchal a réussi à emporter la 3ème du Vaucluse avec 42 % des voix. Elle a profité du maintien controversé au second tour de la candidate socialiste Catherine Arkilovitch dans une triangulaire avec l’UMP. La cadette de la dynastie a su aussi absorber un vote de contestation des communes rurales environnantes, en alignant des scores dépassant parfois les 50 % comme à Bédarrides. Mais Carpentras demeure le symbole, le vaisseau amiral. La ville qui dans l’imaginaire frontiste reste celle de la profanation du cimetière juif en 1990 et du « complot » ourdi par le gouvernement d’alors (2). Marion avait à peine six mois. 22 ans après, l’élection de la petite-fille à papa est venue « laver l’affront infligé à Jean-Marie ».
Torchons et serviettes
Pour pénétrer dans cette permanence flambant neuve, il faut montrer patte blanche. La rue est surveillée par plusieurs colosses en costard-cravate noir. Un corridor est réservé à la presse alors que les militants, eux, ont une entrée à part. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. Du moins pas tout de suite. Rapidement, l’arrivée de Marine Le Pen est annoncée avec une heure de retard. Thibaut de Bougrenet de La Tocnaye, l’un des cadres du parti et futur candidat à la mairie de Cavaillon, fait son entrée : « tout est impeccable », lâche-t-il, en ajustant son nœud de cravate devant la glace.
Petit à petit, les militants investissent la « salle commune ». Des jeunes du mouvement, comme apprêtés pour un défilé de mode, se placent derrière les tables de rafraîchissements. Répondre aux questions des journalistes ? Après quelques messes basses et un sourire coincé, on décline, bien briefé : « Ce n’est pas qu’on n’a pas le droit, c’est qu’on ne veut pas… » Le reste des militants n’est pas plus bavard. A part Claude et Sophie, un couple de quinquagénaires posté devant la place de parking où Marine doit descendre de voiture.
– « Nous n’avons pas pu rentrer, nous ne sommes pas adhérents à la fédération. Mais nous sommes de très grands sympathisants de Marine Le Pen. D’ailleurs, mon mari et moi n’avons toujours voté que pour la famille. On espère la voir ce soir ! », glapissent les deux groupies.
– le Ravi : « Et qu’est-ce qui fait qu’à Carpentras, le vote FN est aussi important ? »
– Claude : « Les mêmes problèmes que partout, en pire ! »
– « Vous voulez que je vous donne un exemple concret, d’aujourd’hui ? On a failli nous cambrioler ce matin. Heureusement que j’étais à la maison, que j’ai crié. Je l’ai vu comme je vous vois, il était d’origine maghrébine », assure Sophie.
– le Ravi : « Comment vous pouvez en être aussi sûr ? Il aurait pu être Turc… »
– Sophie : « Il était d’origine… euh… Il était d’origine quoi, vous comprenez ! »
Le FN à gorge déployée
Malheureusement oui. Trois minutes plus tard, de retour dans la permanence, la voilà : Marion Maréchal. Toute pimpante et le sourire jusqu’aux oreilles, elle fait le tour des journalistes parmi lesquels une équipe de télé américaine. En attendant « Marine », un orchestre provençal traditionnel, explosant toutes les frontières du kitsch, fait patienter les militants. Les journalistes sont parqués dans la salle de conférence. Mais cela ne suffit pas à couvrir les cris de quelques agitateurs, à l’extérieur. Leur « F comme fascistes et N comme nazis » seront rapidement maîtrisés par la police.
Puis elle arrive, sous les vivats d’au moins 300 militants chauffés à blanc. Jeunes, moins jeunes, des enfants aussi sont là. Sourire carnassier largement affiché, Marine Le Pen prend place au côté de sa nièce. S’ensuit une série de questions-réponses relativement stériles. Au sortir de la conférence de presse, la présidente du FN harangue les foules. Très heureuse de pouvoir enfin venir féliciter « sa fille », tout le monde en prend pour son grade : Copé, Valls, Taubira et son laxisme, l’UMPS…
Ce sont « eux, ils » contre « nous ». A force d’être anti communautariste, il semble qu’on le devienne soi-même. Les militants donnent de la voix. Avant d’entonner la Marseillaise, on entend « Ils ont peur de nous, ils ont bien raison ! » ou des « Marine, présidente » hurlés à gorges déployées. Le visage d’une adolescente s’émerveille, les yeux rivés sur la chef de parti. Il fait très chaud mais un peu froid dans le dos. Il faut se frayer un chemin vers la sortie sans trop montrer son badge « Presse ». Ouf, l’air y est plus respirable. Jusqu’en 2014 ?
Clément Chassot
(1) 27 % au 1er tour de la présidentielle en Vaucluse et 28,5 % à Carpentras. Deux députés d’extrême droite sur les cinq du département ont été ensuite élus : Jacques Bompard (Ligue du sud) et Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen (Front national).
(2) En mai 1990, un cimetière juif est profané à Carpentras. Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur de Mitterrand, désigne immédiatement le Front national de Jean-Marie Le Pen comme responsable. Après sept ans de procédures troubles, de pistes infructueuses et d’emballements médiatiques, 4 skinheads sont jugés coupables. Aucun lien entre eux et le FN n’est établi.
Clément Chassot
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