Ecoles : chronique marseillaise d’un fiasco annoncé
« Le fond du problème, sur Marseille, c’est qu’il n’y a rien », soupire Corinne Vialle, déléguée syndicale SNUipp et directrice d’école au Rouet, qui raconte comment des questionnaires d’un cabinet d’experts-comptables, KPMG, ont atterri dans les boîtes mail des directeurs d’écoles en mars dernier à l’initiative de la mairie. « Ces questionnaires de 4 pages nous demandaient de mesurer la cour, les locaux et de lister les installations sportives, ce qui est risible, déplore-t-elle. Ils montrent la méconnaissance de la municipalité du milieu scolaire. » Cette enquête, dont la facture s’élève à 200 000 euros, avait pour but de dresser un « état des lieux […] des structures et équipements publics et privés organisant des activités périscolaires et extrascolaires ». Les résultats de l’étude n’ont pas fait l’objet d’une diffusion publique –quand même même auraient-ils un sens puisque nombre de directeurs d’écoles ont simplement refusé d’y répondre…
Franchement misérable
Misons sur la créativité des parents d’élèves ? C’est peut-être ce que se dit la municipalité de Marseille à propos des écoles publiques soumises depuis des années à l’absence de moyens et d’ambitions. Les diverses actions entreprises, cette rentrée, pour se plaindre contre la non application de la réforme des rythmes scolaires, contre les enfants lâchés dans la rue le vendredi après-midi, font en effet preuve d’imagination : pique-niques géants, ateliers « manif-peinture » improvisés sur les murs de la mairie… Citons aussi cette web-série, plus ancienne, du collectif DZ (« Des aides pour les écoles marseillaises »), toujours diffusée sur internet. Episode 1 : la municipalité est remerciée, ironiquement, pour les 273 millions d’euros engloutis dans la rénovation du stade Vélodrome, alors qu’une vingtaine de gymnases sont fermés et en attente de travaux depuis plusieurs années. Episode 2 : des élèves apprennent à nager à plat ventre sur une planche à roulettes dans une cour d’école, faute de piscine…
Le désarroi général a gagné de nombreuses équipes pédagogiques, et ce bien avant cette rentrée chaotique. Dans un long témoignage envoyé en juin dernier au Ravi, un directeur d’école, souhaitant rester anonyme, témoigne de la dégradation des conditions d’enseignement dans les écoles primaires des quartiers sud, pourtant réputés les plus favorisés : « Nos écoles sont des ghettos, fréquentées quasi-exclusivement par des élèves dont la situation sociale oscille entre le pauvre, le très pauvre, et le franchement misérable. Il en résulte une grande violence, de très grosses difficultés scolaires, et une grande difficulté d’exercice (…) Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : d’abord les dérogations à la "carte scolaire" (…) Cela fait presque un an que je questionne Mme Casanova, adjointe au maire à l’éducation, pour connaître la composition et les règles de fonctionnement de la commission de dérogation, mais ses réponses sont aujourd’hui plus que rares, et toujours évasives (…) Ensuite, la difficulté des conditions de travail et l’instabilité des équipes. C’est clair : travailler dans ces écoles est usant au-delà de ce qu’on imagine. Ce qui ce passe est, vraiment, incroyablement dur. Et tout se fait sans moyens, ou avec des bouts de ficelles… »
De l’huile sur le feu
174 millions d’euros : c’est le budget alloué à l’éducation à Marseille. « Il a été augmenté de 8 millions en 2013, commente Michèle Poncet-Ramade. Mais ce n’est pas suffisant car cela représente seulement 11 % du budget. » Et la conseillère d’arrondissement EELV des 13e et 14e, de poursuivre : « Il y a des rats dans la cour de l’école de Frais Vallon et, m’a-t-on rapporté, des cafards dans les matelas sur lesquels les enfants doivent faire la sieste dans une autre école, sans parler du manque de moyens humains. » Les syndicats dénoncent en effet un des taux d’encadrement par les agents municipaux les plus bas de France ; 1 personne pour 25 enfants en maternelle et 1 pour 50 en élémentaire. Les effectifs du personnel encadrant les activités extrascolaires ayant été renforcés d’à peine un dixième de ce qui serait désormais nécessaire pour mettre en œuvre la réforme. Des Atsems (agents municipaux dans les écoles) ont parfois rejoint les parents d’élèves et les enseignants qui manifestent chaque fin de semaine devant la mairie.
En 2013, Marseille verse 2 254 euros par élève ; à Toulouse, c’est presque le double. « Ici seul un tiers des habitants pait l’impôt, on ne peut pas comparer avec une ville où est installée une grande industrie de l’aéronautique, se défend Danielle Casanova, l’adjointe (UMP) aux écoles. L’éducation est le premier budget de la ville. » Dans les couloirs de la mairie, certains conseillers municipaux de la majorité reconnaissent pourtant des erreurs, notamment celle de n’avoir rien anticipé pour la rentrée. De plus, des mesures récentes mettent encore plus d’huile sur le feu, comme la suppression cette rentrée des classes de kayak et de voile pour 72 classes – des activités « qui n’étaient pas des activités périscolaires mais bien dans le temps scolaire » s’irrite Corinne Vialle. Faisant écho à l’enquête publiée le mois dernier dans le Ravi, Jean-Marc Coppola, vice-président (PCF) de la région délégué aux lycées, remarque : « cette crise, c’est encore une façon de pousser les familles marseillaises à se tourner vers les établissements privés. »
Anne-Claire Veluire