Du mariage de la robe et du képi
Fin 2016, les policiers battent le pavé. Les hommes en bleu en ont gros sur la patate. En ligne de mire ? Le ministère de la Justice et, plus particulièrement, les magistrats qui feraient preuve de « laxisme » ou, pire, d’« idéologie ». Si, entre les deux corporations, le dialogue n’est pas simple, leurs représentants n’hésitent pas à répondre à notre invitation d’exprimer ce que les uns ont à dire aux autres et vice-versa. D’après Bruno Bartocetti, délégué sud-est d’Unité Police SGP-FO, « c’est la première fois qu’on nous fait une telle proposition. On dialogue avec les syndicats de magistrats et il y a des tables rondes mais, sur le terrain, le policier de base connaît mal la justice et les magistrats ».
A ses côtés, Michel (1), un enquêteur, opine du chef : « Dans les services spécialisés, on est en contact permanent avec des magistrats. On voit dans quelles conditions ils travaillent. Et nous savons distinguer un procureur qui ne peut pas faire ce qu’il veut et un juge d’instruction qui, lui, connaît notre travail, nos contraintes et suit en général notre avis. Mais cette mécanique échappe aux collègues sur la voie publique qui ne comprennent pas comment un individu qu’ils ont pu arrêter à plusieurs reprises peut se retrouver en liberté… »
D’où la colère des policiers l’an dernier. A ce titre, le responsable syndical revient sur une des mesures phares obtenues suite à la mobilisation, la réforme de la « légitime défense » : « On ne réclame pas un droit de tuer. Mais les policiers se sentent en insécurité juridique dès qu’ils utilisent leur arme. Vous finissez en garde à vue, avec l’IGPN (2) sur le dos. Sans parler des médias. Ce qu’il faudrait, donc, c’est avoir affaire à des juges spécialisés qui connaissent notre travail, nos contraintes… »
Et d’évoquer les « fichiers S » bénéficiant de « permissions de sortie », les difficultés à « incarcérer les voyous alors que le type qui n’a plus de point sur son permis peut se retrouver en prison »... Alors, Bruno Bartocetti réclame « a minima un contact plus direct entre les policiers et les juges. Que ces derniers prennent le temps d’expliquer leurs décisions ». Michel abonde dans son sens : « C’est vrai qu’au-delà d’une simplification des procédures, on aimerait savoir ce que deviennent les personnes mises en cause… »
Reste que Marie-Blanche Régnier, vice-procureure et déléguée régionale du Syndicat de la magistrature, n’a toujours pas digéré « ces manifestations de nuit, avec des personnes armées, cagoulées. De surcroît, devant les tribunaux ! Dans le contexte actuel, ce n’est pas neutre. Et c’est surtout se tromper de cible. Leur interlocuteur, c’est le ministère de l’Intérieur, pas celui de la Justice ! ». Et d’ajouter : « Vouloir opposer police et justice, faire croire que nos relations sont exécrables, c’est oublier qu’on travaille au quotidien ensemble. Quant à parler de laxisme de la justice, cela ne résiste pas à l’épreuve des faits. »
Clara Grande, juge d’instruction à Marseille, se rappelle néanmoins « de deux-trois remarques de policiers » suite à leur mobilisation. « Un policier me dit qu’il attend encore son gilet pare-balles, raconte-t-elle. Quand je lui réponds que je ne vois pas ce que je peux y faire, il me rétorque : "Mon gilet pare-balles, c’est vous". Sinon, au jour le jour, ça se passe plutôt bien. Même si on n’a pas assez de temps pour discuter ou se voir sur le terrain, cela nous arrive. Et l’on sait quelles sont leurs contraintes – notamment faire du chiffre… – et dans quelles conditions ils travaillent. Les nôtres ne sont pas si éloignées. D’ailleurs, le budget de la justice est bien en deçà de celui de l’intérieur ! »
Toutefois, comme le précise la magistrate marseillaise : « Même si l’on partage peu ou prou les mêmes objectifs, nos missions ne sont pas identiques. On est là aussi pour s’assurer du respect des procédures et d’un certain nombre de principes. Nous sommes particulièrement attentifs à la question des libertés individuelles et nous tenons compte de la réalité du préjudice, de la personnalité du mis en cause et du contexte. Des réalités – et c’est là tout le paradoxe – que connaissent parfaitement les policiers puisque ce sont eux qui sont sur le terrain… »
Et la vice-procureure Marie-Blanche Régnier d’asséner : « Pour nous, la prison n’est pas l’alpha et l’oméga de la réponse pénale. Quand on sait l’état dans lequel elles sont, si l’on se place du strict point de vue de l’intérêt de la société avec comme objectif la prévention de la récidive, ce n’est pas forcément la bonne réponse. Et ça ne devrait pas être la récompense du travail policier. »
De fait, le contexte économique, ainsi que l’état d’urgence, ne facilitent pas les relations entre ceux qu’on présente pourtant comme les « maillons » d’une même chaîne. Et les échéances électorales n’arrangent pas les choses. En effet, comme on le note du côté d’Unité Police, « il n’y a pas meilleur moment pour se faire entendre qu’à la veille d’une élection. Les sortants comme ceux qui veulent prendre leur place sont on ne peut plus à l’écoute de nos revendications ». A contrario, souligne le Syndicat de la magistrature, « la question de la justice est notoirement absente des débats publics. Et ne parlons même pas de la prison ». Dura lex…
Sébastien Boistel
1. Le prénom a été changé
2. Inspection générale de la police nationale, la « police des polices »