Désindustrialisation : merci patrons ?!
Fermetures d’usines, crise de la pétrochimie… Quel avenir pour le monde ouvrier en Paca à l’heure du « redressement productif » ? Pourquoi les patrons ne volent-ils pas au secours de l’industrie ? Et de quoi se méfier ? Des fumées d’usines ? Ou des usines qui ne fument plus ?
Elles sont grosses et moches. Elles fument, puent et polluent. Parfois, elles pètent. Et pourtant on ne veut pas qu’elles s’en aillent, nos usines ! Il y n’a pas que dans le porno (cf le Ravi 98) que le redressement productif est à la peine. Alors, à la veille d’une rentrée chaude, le Ravi s’est penché sur la place de l’industrie dans la région qui a accueilli les premiers déplacements d’Arnaud Montebourg. Et de constater, d’emblée, une lente et inexorable désindustrialisation que le patronat semble ne même plus se donner la peine de combattre.
Ainsi, hormis quelques lapidaires notes conjoncturelles, la documentation de la chambre de commerce et d’industrie marseillaise commence à dater. Idem à la CCI régionale, se ravisant fissa après nous avoir promis les documents de travail de l’« Observatoire régional de l’industrie » qui ne sera mis en place que cet automne. Et de nous renvoyer vers la préfecture qui, lors de la 6ème conférence régionale de l’industrie en juillet à La Seyne-sur-Mer (83), a choisi de s’interroger, symbolique, un vendredi 13, sur l’avenir de la construction navale.
Et du côté de l’UPE 13 (le Medef local), attendant lors de son raout de rentrée des « nouvelles du futur » des frères Bogdanov ? Pour Nicolas Barthe, le bras droit du président Jean-Luc Chauvin : « Il n’y a pas de désindustrialisation en Paca. C’est un faux problème. Ce qu’on voit, ce sont des entreprises qui ne trouvent pas de main d’œuvre ou qui, face au syndicalisme voyou, hésitent à s’installer ici. Et ce alors qu’il faudrait, pour rendre nos territoires attractifs, abaisser les charges pour plus de compétitivité et plus de pouvoir d’achat. Les médias grossissent artificiellement quelques cas mais, en réalité, on assiste à une mutation de l’industrie et de l’économie. »
Déjà, en 2010, les « Etats généraux de l’industrie » initiés par Christian Estrosi, estimaient que la région Paca était « peu industrielle » : comptant près de 180 000 emplois dans le secteur secondaire (sur les 3,5 millions en France, intérimaires compris), la région se classe, avec un taux d’emploi industriel de 10 %, au 20ème rang national. Pire, entre 1999 et 2008, ces emplois ont subi un recul de 15 % (contre 20 % au niveau national). En clair, pour les « Etats généraux », si Paca résiste « mieux que d’autres à la crise », c’est avant tout parce que des secteurs comme la métallurgie ou l’automobile n’y sont guère représentés.
De quoi faire bondir le responsable des questions industrielles de la CGT, Olivier Mateu : « Mieux vaut se battre pour empêcher qu’une usine ne ferme plutôt que se féliciter qu’elle ne se soit jamais implantée. » Même courroux chez Thierry Del Baldo, de « Plus belles les luttes », un site d’info : « A-t-on oublié que l’industrie offrait des milliers d’emplois dans les quartiers nord ou la vallée de l’Huveaune ? Notre région est profondément industrielle mais cette identité est taboue, le patronat comme l’Etat ayant accompagné voire encouragé la désindustrialisation. »
Si les départements alpins sont faiblement industrialisés (exception faite de la vallée de la Durance) et si le Var a pâti du naufrage de l’industrie navale, les Bouches-du-Rhône sont, devant les Alpes-Maritimes et le Vaucluse, le premier pôle industriel de Paca, avec 40 % des emplois du secteur et trois pôles, l’étang de Berre, Aix et Marseille. Pour Olivier Mateu, de la CGT, « le poumon, ici, c’est le port. L’industrie, c’est un jeu de dominos. Tout est lié ».
Mais, d’après Thierry Del Baldo, « si le port souffre, ce n’est pas la faute aux salariés. C’est parce qu’on veut faire de notre région le bronze-cul de la France ». Or, pour son collègue de la CGT, « il y a de la place pour tout le monde, le tourisme comme l’industrie ». Et à ceux qui font la promotion des « pôles de compétitivité », des industries de pointe (et autres plateformes logistiques), le syndicaliste milite pour le retour d’activités qui avaient fait la richesse de la région. Comme la construction navale : « Quand on sait fabriquer et réparer un bateau, on sait le démonter. Certes, en Inde, ça coûte moins cher. Mais parce que ce sont des gosses qui bossent. »
Traduction locale de la mondialisation, en Paca aussi, on assiste de plus en plus à une opposition frontale entre les secteurs et les territoires. Ainsi, d’après Trendeo, un organisme de veille économique, depuis 2009, le « 13 » est le département le plus touché par l’érosion de l’emploi industriel, suivi par le 84, le 05 et le 83, le 04 et le 06 parvenant à résister. Au final, en moins de cinq ans, la région a perdu près de 2000 emplois industriels : six fois plus que le Languedoc-Roussillon mais quatre fois moins qu’en Rhône-Alpes.
En outre, à l’emploi se mêlent désormais les questions environnementales et sanitaires, en témoignent les réflexions sur l’industrie verte dans une région marquée par la chimie, le pétrole et le nucléaire. In fine, faut-il perdre sa vie (et sa santé) à la gagner ? Et de quoi se méfier ? Des fumées d’usines ? Ou des usines qui ne fument plus ? Sans parler des prototypes d’Eurocopter, le premier employeur privé de la région, qui, cet été, ont fait un retour brutal sur le plancher des vaches… Gageons en tout cas qu’en cette rentrée où Montebourg fait les gros yeux aux syndicats et Ayrault des œillades au Medef, on se souviendra de la « Java des bons enfants » : « Ta meilleure amie, prolétaire, c’est la chimie ! »
Sébastien Boistel