Des tribunaux condamnés à la misère
La ritournelle n’est pas nouvelle : la justice tire la langue. Avec un budget de 72 euros par habitant (1), la France est, au niveau européen, classée 14ème sur 28 pays. Une carence qui impacte forcément le fonctionnement de la justice, les conditions de travail du personnel judiciaire mais aussi l’accueil des justiciables. « Ce qui est le plus en souffrance ce sont les dépenses non obligatoires, c’est-à-dire le mobilier et l’immobilier », explique Danielle Roubaud, greffière et représentante du syndicat CGT des chancelleries et services judiciaires. A Marseille, le tribunal de grande instance (TGI), livré à la fin des années 80, s’est vite dégradé. Problèmes récurrents de chauffage, infiltrations d’eau… « J’ai mis un gobelet dans mon bureau pour éviter que ça ne goutte sur mes dossiers… », s’attriste Clara Grande, juge d’instruction et membre du Syndicat de la magistrature, classé à gauche.
A Aix-en-Provence, le TGI est éclaté en deux sites, dont l’un n’est fait que de… préfabriqués ! A Brignoles (83), un escalier du tribunal d’instance est inutilisable car il s’est déjà effondré. « A Martigues, le conseil des prud’hommes est en plein cœur de la ville. Très bonne idée. Mais le bâtiment est vétuste, la cage d’escalier sent l’urine… Ce n’est pas digne d’une justice du XXIème siècle », ironise Cédric Porin, avocat marseillais spécialisé dans le droit du travail et membre du Syndicat des avocats de France (Saf), lui aussi classé à gauche.
Le manque de moyens est également humain. A Marseille, deux postes de magistrats sont vacants au parquet, six au siège. « Ça commence à faire beaucoup, commente Clara Grande. Mais les besoins les plus criants concernent les fonctionnaires avec 20 postes manquants. C’est énorme par rapport à d’autres tribunaux. » La magistrate rappelle que cette rationalisation à marche forcée a pour conséquence de voir de plus en plus d’affaires jugées par un seul magistrat et non plus en collégialité, à trois. « Et cela, c’est moins d’équité dans la justice », assure-t-elle. Autre effet du manque de moyens humains pour le justiciable, des délais qui s’allongent. Pour une décision des prud’hommes à Marseille, il fallait en 2015 attendre 20 mois (2) contre 16 au niveau national. Le délai est monté à 21 mois en 2016.
L’institution peine également à s’acquitter de ses dettes. « Nous avons des problèmes pour payer nos experts par manque de crédits. Certains ne veulent plus travailler pour nous parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas rémunérés avant deux ans ! », signale Florent Boitard, substitut du procureur au TGI d’Aix-en-Provence et membre de l’Union syndicale des magistrats, classée à droite. Des délais de paiement qui touchent également les avocats. Laurie Quinson est spécialisée à Marseille dans le droit des étrangers, qui peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle. Cela constitue sa seule source de revenus mais elle n’est plus payée depuis le mois de décembre, faute de fonds dédiés ! Une situation récurrente.
« L’aide juridictionnelle paie mal, donc très peu de cabinets la pratiquent. Ce qui pose un problème d’accès au droit pour beaucoup de monde, on ne peut finalement pas choisir son avocat. », souligne-t-elle. La juge d’instruction Clara Grande met aussi en avant le manque de salles d’attentes : « Des travaux sont en cours pour le tribunal des enfants. Mais jusqu’à présent, les enfants, les parents, souvent dans une situation familiale compliquée, doivent attendre dans le couloir. C’est problématique. » « Rien n’a été anticipé, on a utilisé des salles dévolues au public pour en faire autre chose faute de place », se plaint Danielle Roubaud.
Les associations d’aide aux justiciables – et donc ces derniers – paient également les pots cassés. Une bonne partie de l’activité de l’Apcars (3), qui œuvre entre Paris et Marseille, relève des enquêtes sociales rapides, obligatoires pour un prévenu jugé en comparution immédiate par exemple. « Nous en avons réalisé 2200 l’année dernière dans les Bouches-du-Rhône, explique Samantha Enderlin, responsable communication de l’association. Une enquête est payée 70 euros. Le problème c’est que ce tarif n’a pas été revalorisé depuis 2004. On doit s’adapter, trouver le moyen d’en faire plus. Certaines associations font appel à des bénévoles. Ce n’est pas notre optique, nous avons un devoir d’exigence ! » Même chose pour des groupes de parole sur les violences conjugales, censés faire chuter la récidive et payés par… la région Paca. « Nous devons faire avec des bouts de ficelle pour financer des activités qui devraient l’être par le ministère de la Justice », regrette-t-elle. Quand la justice trinque, ce n’est pas forcément elle qui s’en tire avec la gueule de bois.
Clément Chassot
1. Chiffres de 2014. C’est le double en Allemagne.
2. Source ministère de la Justice.
3. Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale.