Des travailleurs considérés comme une charge
Multiplication des abus, recours fréquent aux travailleurs étrangers et détachés… Les conditions de travail dans la viticulture se dégradent ! Entretien avec Jean-Yves Constantin de la FGA-CFDT, la Fédération générale de l’agroalimentaire.
Quelles sont les conditions de travail dans la viticulture ?
Sans aller jusqu’à soutenir que la majorité des entreprises ne respectent pas leurs salariés, il faut quand même reconnaître que la tendance est à la dégradation des conditions de travail. Aujourd’hui, les travailleurs sont considérés comme une charge, une contrainte, plus que comme des partenaires ou une véritable ressource humaine pour produire un produit de belle qualité dans de bonnes conditions. La profession se remet en cause sur sa manière de faire, sur les nouvelles contraintes climatiques. C’est peut-être parce qu’elle connaît une perte de repères qu’elle se cherche mais sans avoir de lieux de réflexion !
La viticulture bénéficie de mesures exceptionnelles, à l’image des dérogations au temps de travail, et impose encore des pratiques problématiques comme le « prix-fait » (rémunération d’une tâche au forfait)…
Le « prix-fait » ne se pratique pas seulement dans le vin et en aucun cas ne peut autoriser un salaire inférieur au Smic. Mais certains employeurs combinent le « prix fait » avec du travail illégal. J’ai pu le constater dans le Pays d’Aix. Comme on cherche à faire baisser les coûts, on se met les mains devant les yeux pour ne pas voir si l’équipe est passée de cinq à dix travailleurs, s’ils viennent aussi bosser les samedis et dimanches, si ce sont toujours les mêmes qui viennent travailler… Cette pratique rejoint la problématique de la loi travail dans la mesure où c’est le salarié qui gère ses conditions de travail tout seul. Il y a le mirage d’une pseudo-autonomie…
Est-ce que la viticulture connaît les mêmes dérives que celles permises par les travailleurs détachés de l’agriculture ?
Dans le vin, le travail détaché augmente de façon importante. Entre 2014 et 2015, cette croissance est à deux chiffres. Mais comme dans notre région les vendanges sont plutôt mécaniques, c’est plutôt en hiver, pour les travaux de taille notamment, que l’on trouve le plus de travailleurs détachés. Ils sont amenés pour des chantiers courts à Arles, Nîmes ou un peu plus au nord. Les entreprises qui les emploient jouent sur trois départements, autant de mutuelles agricoles et deux régions administratives. Donc pour arriver à les contrôler, c’est comme au loto, il faut de la chance. La dernière salariée que j’ai aidée n’avait pas perçu de rémunération et son contrat de travail ne lui avait pas été envoyé. Ça s’est décanté parce que j’ai réussi à joindre son entreprise, mais cette femme aurait très bien pu avoir travaillé trois semaines pour rien. Il y a tellement de personnes qui cherchent du boulot que ça marchera la prochaine fois…
Propos recueillis par Jean-François Poupelin
Entretien publié dans le Ravi n°143, daté septembre 2016