Des millions pour les canons
Vous pouvez lire gratuitement cette archive du Ravi. Mais l’avenir du mensuel régional pas pareil, qui existe car ses lecteurs financent son indépendance, est toujours entre vos mains. Abonnez-vous, abonnez vos amis, vos ennemis, faites un don…
Avoir « une Cop d’avance » et être la première région de France à appliquer les engagements de la Cop 21… On y croyait presque mais les bonnes résolutions écolos de Renaud Muselier, président (LR) de la région Paca, ont déjà du plomb dans l’aile. La faute à Christian Estrosi, qui a lâché en 2017 la présidence de la région pour retrouver sa chère ville de Nice en laissant quelques souvenirs. Comme un plan de financement de l’industrie du ski voté en 2016 et pas écolo pour un sou.
Le projet nommé « Smart Mountain », doté de 50 millions d’euros de la région sur la période 2016-2020, était pourtant bien emballé. Le numérique et la transition énergétique et écologique étaient soigneusement mis en avant (Cf le Ravi n°146, décembre 2016).
Un peu plus d’un an plus tard, il ne reste pas grand chose sur le tableau vert. « 95 % des demandes de subventions que nous recevons concernent la neige de culture, c’est incroyable ! » fait mine de s’étonner Chantal Eymeoud, élue (LR) chargée de la montagne, maire d’Embrun (05). Un million d’euros pour « l’optimisation de la neige de culture » à Pra-Loup, 300 000 euros pour l’amélioration de la salle des machines à neige à Ancelle… le Ravi a sorti sa calculette, et sur les 16 millions d’euros d’argent public déjà distribués en 2016 et 2017, plus de 9 millions sont allés au développement de la neige artificielle contre seulement… 700 000 euros attribués à des projets de tourisme vert. Peanuts.
« Pendant que les Alpes du Nord gagnent en parts de marché, les Alpes du Sud sont en difficulté, justifie Chantal Eymeoud. Il faut sécuriser le produit ski, donc développer la neige de culture. » Dans son rapport annuel, la cour des comptes recommande pourtant aux collectivités de prendre en compte le changement climatique et de « s’adapter à un futur où les sports de neige ne seront plus leur unique ressource ».
Pas de miracles !
L’idée que l’économie de montagne ne survivra que grâce aux canons n’est pas nouvelle. En 2000, suite à un hiver sans neige, Michel Vauzelle prêtait 12 millions de francs pour que les stations s’équipent en neige artificielle. Elle ne fait pourtant pas de miracles. Mais cette année, à Gréolières (06), pour les vacances de février, la station n’a pu ouvrir que deux pistes vertes malgré les 80 canons à neige financés par les collectivités. Au nord de Nice, Valberg a renoncé à ouvrir une partie de son domaine, la faute à des températures trop hautes et des ressources en eau limitées. « On ne va pas enneiger les pistes si c’est pour ne plus avoir d’eau au robinet », confie un salarié des remontées mécaniques.
Pas de quoi pourtant inquiéter le baron local Charles-Ange Ginesy (LR) : « Des hivers sans neige, il y en a toujours eu. » Après avoir hérité de la mairie de Péone-Valbert de son père Charles, il a succédé en septembre dernier à Eric Ciotti à la présidence du département des Alpes-Maritimes. Charles-Ange chausse aussi la casquette de président de l’Association nationale des maires de station de montagne (ANMSM) : « Si je me fonde sur l’évolution de la science, les enneigeurs seront de plus en plus performants, moins énergivores et plus efficaces. » Bientôt l’évolution de la science qui permettra d’empêcher la neige de fondre au soleil ?
Cette course à l’armement technologique est supportée par le contribuable. Gérée par une société d’économie mixte, comme toutes les stations du 06, Valberg bénéficie chaque année d’une participation d’un million d’euros du département. Le plan Smart Mountain devrait lui rapporter 1,2 millions supplémentaires d’ici 2020. « On est sous perfusion, confie un élu de Valberg. Sans les subventions du département, on coule. »
« Les collectivités doivent réfléchir à d’autres moyens de développement », affirme Didier Migaud, le président de la cour des comptes interrogé par France Culture le 12 février dernier. Comme prêcher dans le vide. « On a du mal à convaincre les élus d’abandonner le financement des canons à neige », confie Camille Rey-Gorrey directrice de l’association Mountain Riders, qui accompagne les élus de montagne à faire la transition vers un tourisme moins dépendant du ski. « On développe le tourisme d’été, mais pour l’instant le ski représente 70 % de notre chiffre d’affaire, répond Charles-Ange Ginesy. Il nous faudra une vingtaine d’années pour inverser le rapport. » Plutôt que de financer des infrastructures potentiellement obsolètes à moyen terme, les millions de la région auraient pu aider à cette transition…
Margaïd Quioc
Les dérapages d’« Estroski »
« Un euro dépensé pour les stations génère 6 euros de retombées. » C’est sans doute en se reposant sur ce fumeux calcul que Christian Estrosi a pu faire voter au Conseil régional 200 000 euros de subventions à un hôtel de luxe d’Isola 2000 le 15 décembre dernier. Le Canard Enchaîné qui a révélé cette affaire note que les propriétaires sont les parents du skieur Mathieu Faivre, membre du comité de soutien de l’ami Christian aux municipales de 2014…
En 2017 un rapport de la cour régionale des comptes épinglait déjà la gestion des stations du Mercantour, dont Isola fait partie. Il était reproché au président de la société d’économie mixte (Christian Estrosi) d’avoir maquillé les comptes afin de cacher leur dépendance aux subventions de la métropole de Nice (présidée par Christian Estrosi). On n’est jamais mieux servi que par soi-même.
Enquête publiée dans le Ravi n°160, daté mars 2018