Des facultés limitées…
« Je suppose que le vidéo-projecteur marche ici. Parce qu’à Schuman, la fac de Lettres d’Aix-en-Provence, c’est un désert technologique », lâche un maître de conférences qui intervient à Marseille pour la première fois en Sciences & Humanités (S & H). Oui, les étudiants de cette licence ont de la chance : le matériel fonctionne ! La différence ? Peut-être le label « Académie d’excellence », décerné par la fondation Amidex d’Aix-Marseille Université (AMU), une initiative du ministère de l’Enseignement supérieur qui permet de bénéficier de financements complémentaires : la licence « S & H » bénéficie donc d’un budget plus de 30 fois supérieur à celui d’une licence classique. Ce qui permet de ne pas se poser de question pour une sortie, un voyage ou payer les heures sup’ d’un enseignant.
Et il n’y a pas qu’en cela que la licence est, à la fac, un ovni. L’administration s’en arrache encore les cheveux. « Ça n’existe pas, ça », peste une secrétaire. Ou encore, déclare sa collègue : « Vous faites des sciences humaines, c’est à Schuman qu’il faut aller… » Sans parler de ce regard sur l’ordinateur avec un marmonnement : « C’est quoi ce truc ? » D’ailleurs, si la licence propose pour les étudiants qui souhaitent partir à l’étranger une bourse de 5000 euros (lire page ci-contre), encore faut-il réussir à faire comprendre à la fac de Sciences Humaines que ce n’est pas parce qu’on est classé dans le pôle « Sciences et Technologie » qu’on n’est pas admissible en anthropologie.
La licence « S & H » reste une filière de l’université. Pour le meilleur. Et pour le pire. Comme cette prise sortant du mur à quelques centimètres d’un seau placé là parce que l’eau coule du plafond quand il pleut. Une situation qui ne concerne pas que Saint-Charles. « Sur le site de Saint-Jérôme, la majorité des bâtiments de la fac fuient. Les derniers étages sont jonchés de seaux » note Laurie, une étudiante en master environnement.
Autant dire que, dans de tels bâtiments, des radiateurs qui ne marchent pas ne choquent même plus. Dans la licence, c’est une étudiante qui, chaque matin, purge ces derniers ! Et, dans certaines salles, le chauffage est tout simplement HS, les étudiants devant suivre les cours en veste de ski et prendre des notes avec des gants. Mais étudier, c’est s’adapter…
D’autres ont cours sur trois sites différents. Le prétexte ? La disponibilité pour les travaux pratiques de tel ou tel matériel. Mais c’est souvent pour éviter d’avoir à payer le déplacement d’un prof. Témoignage d’un étudiant : « J’ai cours à Saint-Jérôme ou à l’Arbois, sur Aix. Or, entre les deux, il n’y a pas de bus direct. Soit on trouve quelqu’un qui a une voiture, soit on se fait tous 3 heures de trajet dans la journée à 12 € l’aller-retour. Pour, au final, se retrouver dans une salle à écouter un prof qui n’a pas besoin du moindre matériel. Quand on a la chance de ne pas découvrir que le prof en question ne savait pas qu’on avait cours ! »
Et pourtant, ce n’est pas à Marseille mais à la fac de Lettres d’Aix-en-Provence que l’on trouve les pires situations. Comme ces WC où, faute d’éclairage, c’est à la lueur du portable et avec une bonne dose de courage qu’il faut se risquer. Entre les néons qui pendent du plafond, l’absence de rideaux qui rend impossible la moindre projection, le wifi inexistant et le matériel cassé jamais remplacé… « J’ai honte d’inviter des collèges pour des interventions », avoue un enseignant. Cela dit, les travaux annoncés depuis une dizaine d’années ont enfin commencé et devraient s’achever en 2017.
Qui blâmer ? Les lourdeurs administratives qui font que changer une ampoule peut prendre des années ? Le budget alloué à AMU trop maigre et/ou mal géré ? Peut-être. Une manifestation contre l’austérité dans les universités a d’ailleurs eu lieu le 19 mars. Mais au-delà de ça, pour Gaëtan Hagel, responsable de la licence Sciences & Humanités, « l’enseignement est trop peu reconnu ». En effet, « la reconnaissance d’un enseignant-chercheur se base sur ses recherches ». Or, s’investir dans l’enseignement impose de mettre ses recherches de côté. Ou de démultiplier son temps de travail. Et justement, « la licence regroupe des enseignants-chercheurs qui veulent s’investir dans l’enseignement ». Et de conclure : « Le budget Amidex nous a facilité la vie. Mais si on ne l’avait pas eu, on aurait fait de la récup’ et on se serait débrouillé autrement pour enseigner comme on veut le faire. » C’est sans doute ce qui rend cette licence exceptionnelle. Même si le budget de cette dernière facilite la vie.
Gabrielle Lachaume & Robin Séverac