Des bâtisseurs d’avenir
Bzzzzz ! Le quartier Saint-Mauront de Marseille, l’un des plus pauvres de France, bourdonne aujourd’hui d’activité grâce aux Habeilles. Un collectif d’habitants, qui porte depuis deux ans et demi un projet d’habitat groupé au 12 de la rue Jullien. Philippe, un jeune retraité longiligne et Habeille pionnière, y a mis « temps, énergie et persévérance ». Alexia, arrivée en vélo, ajoute que « le principe, c’est que les participants sont partie prenante du projet. Il a fallu travailler la charte, penser le montage juridique, financier, etc. »
Limité à 3 % de bénéfices par la loi 1901, Pact 13 les réinvestit au service des défavorisés. Il était donc naturel que ce bailleur social participe à la construction des douze logements locatifs, dont huit sociaux, qui formeront la ruche des Habeilles. C’est l’EPFR (Etablissement public foncier régional) qui a vendu le terrain à l’association. Une coopérative gérera l’immeuble (loyers, règles de vie, petit entretien, local d’activité), dont Pact 13, via un emprunt à la Caisse des dépôts et consignations, finance la construction. Mme Charnay, chargée de développement du bailleur, séduite par ce projet « innovant », assure « que les loyers rembourseront le prêt pendant 50 ans et, qu’à terme, les Habeilles seront chez elles ».
Les loyers seront au niveau de ceux du logement social. « Pour une qualité autrement inaccessible », assure Alexia. Ecolo et à la norme BDM (bâtiment durable méditerranéen), l’immeuble offrira également de nombreuses parties communes : une salle polyvalente ouverte aux habitants du quartier, un atelier vélo, des chambres d’ami et une buanderie communes, un toit terrasse, un local d’activité. « La volonté du groupe est de faire un projet non spéculatif et ouvert sur l’extérieur. Sa plus-value est le vivre ensemble », déclare Alexia. Et Philippe d’ajouter : « On fabrique un concept ! »
« Le principe, la solidarité », Gilbert Bugnoli
Autre concept d’habitat participatif, l’auto-construction. Direction Marinaleda (2800 âmes), en plein cœur de l’Andalousie. Grâce au modèle économique alternatif au système capitaliste et grâce à la démocratie directe et participative mise en place par son maire depuis 1979, Sanchez Gordillo, c’est la seule commune en Espagne à être épargnée par la crise. Au sortir du franquisme, ce professeur d’histoire impulse une occupation des terres de riches propriétaires qui débouchera, douze ans plus tard, sur la création d’une coopérative agricole de 1200 hectares, puis d’une conserverie (salaire de 1200 euros pour tous). Suivent de multiples services publics (installations sportives gratuites, crèche à 12 euros par mois, un restaurant à 1 euro le repas, etc.) et un programme original d’auto-construction de maisons de 90 m2 avec patio. Les habitants fournissent la main d’œuvre, la municipalité, qui reste le propriétaire, offre le terrain et les services d’un architecte, ainsi que les matériaux, avec l’aide de la communauté autonome d’Andalousie. Loyer : 15 euros par mois.
Marinaleda n’est pas sans rappeler l’épopée des Castors de la Germaine à Marseille (15e arr.), un des six lotissements auto-construits de la ville dans les années 50, sous l’impulsion de prêtres ouvriers et avec le soutien de l’Etat. « Le principe était la solidarité, raconte Gilbert Bugnoli, un fils de Castor, 7 ans au début de la construction, en 1953, qui a racheté le logement familial il y a une dizaine d’années. La condition sine qua non, en plus d’être ouvrier, était de donner 1500 heures par an, le plus souvent le dimanche, seul jour de repos de la semaine. » Et de s’enthousiasmer, intarissable : « Pour moi c’étaient des surhommes, pendant six ans, ils n’ont eu ni weekend, ni vacances ! »
Autre principe du projet : construire à moindre coût. Des parpaings aux huisseries, tout est fabriqué sur place. Et, à chaque occasion, les castors récupèrent (les pavés qui serviront pour les routes) et sollicitent des « coups de main ». L’organisation même du lotissement permet de faire des économies : les 120 logements, attribués par tirage au sort, sont répartis en 30 blocs de quatre appartements (deux au rez-de-chaussée, deux à l’étage) et sont tous identiques (73 m2, trois chambres, une cuisine, un salon, des WC, une salle de bain, un jardin), ce qui permet d’économiser des murs et des toits. « Pour ces gens simples qui n’avaient pas les moyens d’acheter, l’économie a été énorme, près des deux-tiers du prix », assure Gilbert Bugnoli. Et de regretter « que l’aventure ne se soit pas poursuivie ».
Mais elle peut-être en train de renaître avec le projet de Saint-Mauront. Le mot de la fin revient à Alexia : « L’habitat participatif ne résoudra pas toutes les difficultés d’accès au logement, mais on a l’espoir que d’autres projets naîtront. » Et que les Habeilles essaimeront !
Delphine Gia, Sonia Harrat & Lise Michaud