De l’eau dans le gazoduc
Les grands projets industriels sont souvent baptisés par des noms de dieux de la mythologie grecque ou romaine. C’est celui d’un dieu-fleuve dont a écopé le projet de construction d’un nouveau gazoduc entre Saint-Martin-de-Crau (13) et Saint-Avit (26) : Eridan ou 220 km de nouvelles canalisations pour transporter un gaz naturel qui débarquerait en grande partie du Moyen-Orient dans le port de Fos-sur-Mer pour remonter toute la vallée du Rhône et approvisionner le nord de la France et de l’Europe. « On porte un projet d’intérêt général, soutient Georges Seimandi, directeur du projet pour le maitre d’ouvrage du pipeline, GRTGaz, filiale de GDF-Suez. C’est le fruit d’une grosse réflexion européenne, une question de sécurité énergétique et de diversification des ressources. » Et d’insister autant sur le caractère indispensable du projet, dû à la baisse des réserves en gaz des pays du nord, que sur la volonté d’être attentif aux contraintes environnementales.
Allégorie du soleil couchant
Pourtant, dans la région de la Crau, c’est bien l’impact de la construction du gazoduc sur un écosystème singulier et fragile qui inquiète les associations. « Le foin de Crau est une richesse exceptionnelle, le seul à avoir une appellation AOC », s’exclame Joëlle Longhi, de l’association Agir pour la Crau. Or, sa culture dépend de l’état du poudingue – un sous-sol particulier, constitué de pierres et de galets, qui donne un matériau étanche. « Le danger, poursuit Pierre Calfas, de la Fédération Nature Environnement des Bouches-du-Rhône, c’est que l’écoulement gravitaire ne se fasse plus correctement et que la nappe phréatique soit atteinte ». Et Joëlle Longhi d’ajouter : « il y aura des dégâts sur les terres agricoles, avec plus de 150 propriétés impactées, des oliviers arrachés, et des bandes de 10 ou 20 mètres où rien ne poussera. »
Dans le nord Vaucluse et la Drôme, les opposants d’Eridan se mobilisent pour d’autres raisons. « Le tracé du gazoduc passe près des sites nucléaires de Marcoule et du Tricastin, et sous le canal de Donzère-Mondragon qui alimente en eau de refroidissement ce dernier, explique Agnès Boutonnet, chargée du dossier Eridan au sein de France Nature Environnement Vaucluse. Il y certes peu d’accidents de gazoducs, mais il en suffit d’un pour que cela produise une catastrophe. » Un scénario à la Fukushima pour un projet dont le nom est aussi une allégorie du soleil couchant dans la mythologie grecque. Naturellement, GRTGaz se défend. « Suivant les recommandations de l’Autorité de la Sureté nucléaire, nous allons prendre des précautions supplémentaires, annonce Georges Seimandi. Le gazoduc sera tellement loin des digues – 3,5 km – et tellement profond qu’il n’y a aucun risque, même dans les pires scénarios. » Concernant les enjeux écologiques dans le bassin de la Crau, le chef de projet rappelle l’expérience de la société gazière dans le sud des Alpilles et l’attention portée à la réimplantation des cultures et de la flore, sans parler « de la commission d’enquête indépendante et des nombreux changements de tracés – environ 200 – déjà effectués… »
Not in my garden
Une pétition, lancée par les associations, a rassemblé des élus vauclusiens de tous bords, avec, au premier rang desquels… la mairie d’extrême droite de Bollène. « Nous sommes une ville qui possède déjà des risques majeurs ; non seulement naturels – inondations, feux de forêts, risques sismiques, mouvements de terrains – mais aussi industriels avec une usine de remplissage de Butagaz, explique Jean Vallier, directeur de la communication de la municipalité. Nous ne voulons pas ajouter un risque supplémentaire. » Ce facteur « risques » dans une région, la Vallée du Rhône, déjà saturée d’infrastructures et de complexes industriels, est à l’origine de ce consensus politique assez inédit. « Ce n’est pas étonnant, considère Olivier Florens, élu conseiller général du Vaucluse sous l’étiquette EELV, qui vient de rejoindre Nouvelle Donne. Car les élus sont à un niveau micro, sur la sécurité des citoyens. Pour autant, il n’y a pas de réflexion de fond sur la transition énergétique. » Dans les Bouches-du-Rhône en revanche, les associations se plaignent de se sentir bien seules face à l’indifférence des politiques. Le 15 octobre prochain, le préfet de la Drôme, qui coordonne le projet Eridan, devrait établir une déclaration d’utilité publique, entérinée ensuite, vraisemblablement, par la ministre de l’environnement pour un début des travaux prévu en 2015…
Anne-Claire Veluire