Dans les quartiers Nord, « on est déjà debout »
16 heures, samedi 23 avril, cité des Flamants, dans les quartiers Nord de Marseille. Le soleil n’est pas encore couché, mais Nuit Debout ne va pas tarder à commencer. Sy et Hanane, deux profs parisiennes en vacances à Marseille, cherchent désespérément la place des débats. « On a fait le tour du quartier mais on a vu personne… Vous, vous savez pas où c’est ? » Devant nous s’étalent un immense terrain vague et un ensemble de tours HLM. La cité est désertique. Après plusieurs minutes d’errance, nous atteignons finalement la frontière du périphérique. « Ça ne peut pas être par là », déclarent les deux touristes, qui rebroussent chemin.
On longe la route sur quelques centaines de mètres quand enfin nous apercevons notre oasis. La fameuse agora. Mais en s’approchant, nos regards ne croisent aucun visage. La place, qui surplombe le 14ème arrondissement, est vide. La Nuit Debout des Quartiers nord ne serait-elle qu’un mirage ? « Ici, il n’y a personne, lance un riverain. Mais en dessous, il y a des gens. C’est peut-être là Nuit Debout. »
« Ici, ça ne marche pas comme ça » Un peu plus bas en effet, un attroupement s’est réuni dans les locaux de Pas Sans Nous, le relais local de la coordination nationale revendiquant un rôle de « syndicat des quartiers populaires ». A l’intérieur, Julie et Gérald, deux membres actifs de la Nuit Debout marseillaise du cours Julien, en centre ville, s’emportent lors d’un débat politique, face à une petite assemblée silencieuse. Quelqu’un leur fait discrètement remarquer les problèmes d’organisation de l’événement. Les deux quittent la salle et s’activent avec quelques volontaires pour commencer à monter le matériel : sono, boissons, nourriture et estrade, pour assister aux débats.
Pendant ce temps, dans les locaux de Pas Sans Nous, les langues des riverains se délient. Salvatore, un membre de l’association, est très remonté contre la manière dont s’est mis en place le rendez-vous : « Du jour au lendemain, on nous a annoncé cette Nuit Debout. Ils n’ont pas pris le temps de bien l’organiser. Ici ça ne marche pas comme ça. »
C’est presque sur les coups de 19h que la Nuit Debout se lève, devant une bonne centaine de personnes. Dans la petite foule, des exilés du Cours Julien, beaucoup de journalistes, très peu de riverains et une poignée de membres de Pas Sans Nous, plutôt mécontents contre la manière de faire du mouvement.
« Les fantômes » du centre-ville C’est d’ailleurs l’une d’entre elles, Fatima Mostefaoui, militante associative bien connue aux Flamants, qui prend la parole en premier afin de « mettre au point la situation. Ici, ça fait des années qu’on est debout. Nous n’avons pas attendu pour nous battre contre le mal-logement, les violences policières, le chômage. Vous voulez libérer notre parole ? Notre parole est déjà libre, mais personne ne l’entend car elle est censurée ».
D’autres locaux complètent les propos de Fatima, pointant divers problèmes, comme la stigmatisation des quartiers ou les raisons du peu d’intérêt des habitants de la cité pour l’événement. Myke est d’accord avec eux : « Personne du quartier ne va écouter les gens du centre-ville. Pour nous, ils sont comme des fantômes. »
Malgré tout, au micro, certains formulent des attentes traditionnellement exprimées lors des Nuit Debout : remise en cause des institutions politiques, partage d’expériences per-sonnelles, de revendications associatives… « Ils auront pas assez d’une nuit pour énumé-rer tous leurs problèmes, plaisante un riverain. S’ils pouvaient, ils continueraient à se répéter comme ça des jours et des jours ! »
Un habitué des rassemblements du Cours Julien prend la parole et confesse : « Je ne serais jamais venu dans les quartiers Nord sans Nuit Debout .» Comme lui, la plupart des intervenants prône la convergence avec « les banlieues ». Léa et Vincent ont eux ramené du centre ville leur stand « Biblio Debout », dont le principe est de faire « des dons de livres ». Pour les deux jeunes Marseillais, la soirée aux Flamants est un succès : « Ça marche bien, il y a pas mal de monde ! Mais c’est vrai qu’il manque peut-être un peu de gens du quartier… »
Sur la place, « ils sont dans leurs cocons » Vers 20h, le soleil commence à tomber sur la cité. L’agora commence déjà à se vider, petit à petit. Et les marseillais originaires du quartier peinent toujours à se montrer. Il faut regarder aux balcons des immeubles ou faire le tour de la place pour en trouver. Le peu de gens encore dehors ne souhaite pas participer au rassemblement. Moïse, qui apprécie pourtant l’initiative, reste éloigné de l’agora : « On dirait qu’il y a pas de Nuit Debout. C’est dommage que ça se passe comme ça. Mais bon, au moins ça reflète bien notre société ! Est-ce que les cités sont investies dans quoi que ce soit en France ? »
En contre-bas de la place des débats, des dizaines de résidents du quartier se réunissent. Il est 20h45 : c’est la prière du coucher du soleil pour les musulmans. Autour de la mosquée Essalam, on croise beaucoup plus de riverains en dix minutes que lors de la totalité de la journée Nuit Debout. Eux aussi ne se sentent pas concernés par ce rassemblement. Un fidèle s’explique : « Là haut, ils sont dans leurs cocons. On résout plus de problèmes en venant ici. »
A 21h30, la place, plongée dans le noir car les lampadaires ne s’allument pas, commence vraiment à se vider. Le quartier, très mal desservi par les transports en commun, voit ses derniers bus pour le centre partir dans moins d’une heure. Les gamins restés jouer au foot sur la place toute l’après-midi sont rentrés chez eux depuis longtemps. Les musiciens venus du centre sont eux aussi repartis. Sans même jouer un seul morceau de la journée.
Et la fiche de contact, accrochée au mur pour aider à la mise en place d’une éventuelle prochaine Nuit Debout, demeure désespérément vide. Face à la feuille blanche, Fatima, qui avait prédit l’échec du rassemblement dès le début, glisse discrètement : « ça prouve la convergence. »
Louis Tanca
Mais les Nuits debout en Paca ne sont toujours pas couchées ! En cliquant par ici notre carte régionale interactive…