Dans le 13/14, je vote si j’veux
« La France, c’est comme une mobylette, pour qu’elle avance, faut du mélange » prônaient les marcheurs pour l’égalité dans les années quatre-vingt. Trente ans plus tard, il y a encore quelques ratés dans le moteur. Dans les 13ème et 14ème arrondissements de Marseille, lorsqu’on demande aux habitants s’ils votent, ils répondent : « Ça va nous rapporter quoi ? » Il ne s’agit pas de l’attribution d’un logement ou d’un emploi en mairie, simplement que quelque chose change. Dans ce secteur dirigé pendant plus de trente ans par le PS, les affaires Guérini et Andrieux et le quinquennat Hollande ont mis les socialistes hors-jeu : ils ont cédé le fauteuil municipal en 2014 au FN Stéphane Ravier. Une mamie des Flamants, cité du 14ème arrondissement, prépare la présidentielle : « Marine Le Pen, elle me plaît. Les Arabes qui ont leurs papiers n’ont rien à craindre, mais les sans-papiers doivent être renvoyés. » Une stigmatisation des plus faibles liée à un vrai sentiment d’insécurité sociale : « On a annoncé que si tu dépasses un certain taux sur le livret A, on t’enlève toutes les aides de la CAF. »
Dans la 3ème circonscription des Bouches-du-Rhône, on subit effectivement deux-trois problèmes : un taux de chômage exorbitant dans les cités, des opérations de rénovation urbaine interminables, le deal en bas de l’immeuble, une réelle relégation. Résultat, le taux de non vote est compris entre 40 et 50 %. Les abstentionnistes, mais aussi les non-inscrits, il faut donc aller les chercher jusque devant leur porte. C’est ce qu’ont entrepris Delphine, Dhoul, Anrifky, Amal ou encore Mohamed du Collectif Jeunes de la Busserine dans le cadre du Challenge citoyen, un concours national inter-quartiers prioritaires d’inscription sur les listes électorales. « Les gens ont envie de nous aider pour qu’on gagne le jeu, [même s’ils] n’attendent plus rien des politiques. On leur dit d’aller voter pour les autres, pour que leurs petits frères n’aillent pas guetter. Là, ils sont réceptifs », confie Mohamed, rencontré au centre social l’Agora, au milieu des gravats des chantiers de la L2 et de l’Anru.
Et l’étudiant en bac pro logistique des transports de poursuivre : « Le plus difficile, ce sont certains jeunes. Voter, pour eux, c’est un truc bizarre. Ils ne se sentent pas français. Quand tu leur demandes, ils disent qu’ils sont algériens ou marocains, même s’ils ont toujours vécu ici. » Un sentiment parfois alimenté. Exemple : Progressons ensemble, une association de soutien scolaire de la cité des Flamants, vient de voir ses subventions supprimées. Reconnue pour la qualité de son travail, elle emploie des « bac + 5 », dont certaines sont voilées. Les habitants et acteurs locaux s’interrogent sur un lien de causalité.
A Malpassé, dans le 13ème arrondissement, on n’a pas attendu les élections pour s’activer. « Quand tu te sens ignoré, méprisé, que tu ne sers à rien sauf pour ton bulletin, forcément, tu n’as plus envie de voter », commente Fatima Mostefaoui, co-présidente de la coordination nationale Pas sans nous, sorte de « syndicat des quartiers ». La militante balaie donc toute accusation d’absence de citoyenneté : « Lorsque les habitants se sentent écoutés et respectés, ils s’investissent. Dans les tables de quartiers, ils évoquent leurs sujets de préoccupation : état des trottoirs, des lampadaires, des abris-bus… Il n’y a pas d’autorité extérieure qui impose des solutions, ce sont eux qui les imaginent et les proposent. Ça change tout. »
Pour Fatima Mostefaoui, ces dispositifs permettent également aux habitants de travailler avec les élus, de comprendre les contraintes des institutions et de penser collectif. Retrouver confiance dans les responsables politiques et apprendre ce qu’est la démocratie, tels semblent être les enjeux de ce travail de fourmi. Et d’un passage dans les isoloirs ?
Marina Meloua (Le Mesclun), avec la complicité de T. D. et J-F. P.
Cet article a été publié dans le Ravi n°147, daté janvier 2017