Corruption : la mauvaise réputation…
Est-ce un hommage à la lutte contre la corruption que Michel Vauzelle, alors ministre de la Justice, mena place Vendôme d’avril 92 à mars 93 ? C’est en tout cas dans une région où, de Guérini à Andrieux, en passant par Arrecks ou Médecin, les mises en examen ou les condamnations ne manquent pas, qu’Anticor, association « contre la corruption et pour l’éthique en politique », a décidé d’organiser un colloque sur le sujet. A Aix-en-Provence, précisément où, au début de l’été, la brigade financière a débarqué à la mairie UMP… Y aurait-il quelque chose de pourri en Paca ?
Sociologue, Cesare Mattina est prudent : « Qu’il y ait plus de scandales ne veut pas dire qu’il y a plus de corruption. Méfions-nous des discours. Quand on parle de Dassault, jamais on ne met en avant l’aspect "culturel". Personne ne dit : "C’est ça, l’Essonne !" » D’ailleurs, si, dans l’enquête de Pierre Lascoume, « Favoritisme et corruption à la française », certains, dans le sud, ont cru reconnaître leur ville, le politologue dément : « On a enquêté en Île-de-France, dans le Nord et en Champagne. Les mécanismes sont les mêmes partout. »
Même prudence avec la présidente de la Chambre régionale des comptes : « Dès mon arrivée, rien qu’en lisant la presse, je savais qu’il y avait du travail. Mais notre activité n’est pas un bon indicateur, juge Danièle Lamarque. Vous ne trouverez pas la même chose à enquêter sur la commande publique ou sur le RSA. Et si l’on est l’une des CRC à transmettre le plus de dossiers à la justice, on est au même niveau que le Nord. »
Mais, pour le sociologue Adrien Roux, « d’un strict point de vue judiciaire – en témoignent les récentes circulaires, l’une pour Marseille, l’autre pour la Corse, de lutte contre la délinquance financière – il y a bien une spécificité ici. On stigmatise l’Italie. Mais, si, là-bas, il y a la mafia, il y a aussi les outils pour lutter contre. Alors que dans la région, jusqu’à peu, les enquêtes ne se faisaient tout simplement pas ! Si cela avait été le cas, on aurait certainement eu des surprises. »
Mal endémique et pandémique
De fait, tout le monde s’accorde sur l’étonnante visibilité de phénomènes d’ordinaire clandestins. Les raisons ? Des réseaux bien implantés, des frontières et des ports à proximité et, surtout, des secteurs « à risque » : « En particulier sur le littoral, le foncier, c’est de l’or et l’immobilier, du pétrole », résume l’élu PS toulonnais Robert Alfonsi. Autres secteurs à risque ? Le tourisme, les casinos, les déchets… Des éléments qui, note-t-on à la CRC, « ne sont pas spécifiques à la région ». Mais, pour Pierre Orsatelli, de Renouveau PS 13, il y a « en Paca une école de la corruption ». Après tout, note Séverine Tessier, la fondatrice d’Anticor, c’est Deferre qui est à l’origine de la décentralisation, gigantesque transfert aux collectivités de compétences… et de finances.
D’ailleurs, comment s’étonner que ce soit le Conseil général des Bouches-du-Rhône qui défraye la chronique ? « C’est l’institution la moins connue et pourtant la plus puissante », souligne Adrien Roux. Et ce spécialiste de la corruption de pointer « ces élus qui, issus de véritables dynasties, ont une vision patrimoniale du pouvoir ». Des élus qui cumulent mandats et fonctions dans une région où les écarts de revenus sont aussi importants que le poids des emplois publics et les logements sociaux aussi rares que les places en crèche. Une région où, note Cesare Matina, « le clientélisme est assumé. Voire revendiqué comme une politique en faveur des plus pauvres alors qu’elle profite aux classes moyennes. » Précision d’Alfonsi : « Ne confondons pas le clientélisme où il y a "retour sur investissement" et l’aide que tout élu doit apporter. Cette aide, je l’assume et ceux qui disent qu’ils ne le font pas sont des menteurs. »
Surprenant, toutefois, pour Jean-Claude Roger d’Anticor 13, de trouver, quand il s’occupait de distribution de la presse, « dans tous les dossiers pour la reprise d’un dépôt ou d’un kiosque en Paca la lettre d’un élu. On me disait : "Ici, mieux vaut avoir les politiques de son côté" ! » Ce qui surprend l’écolo Philippe Chesneau, lui, c’est de voir « les gens nous remercier lorsqu’on les aide. Alors que ce dont ils bénéficient, c’est d’un droit, pas d’un privilège. Redistribuer l’argent, c’est notre boulot. On est même payés pour le faire. »
Quoi de plus étonnant que de trouver au cœur de l’Arbois un centre d’études, le Cetfi, enseignant la « lutte contre la criminalité financière et organisée » ? « Ce centre est né parce qu’il y avait chez les professionnels de la prévention et de la répression des lacunes en matière financière, explique son responsable, Gilles Duteil. Or, la corruption, c’est un mal endémique qui, s’il n’est pas combattu, devient pandémique. » Mais, pour Adrien Roux, « on a dix ans de retard ». Duteil en convient : « C’est un peu comme la lutte contre le dopage. »
Pas de prime à l’honnêteté
Soupir de Lascoume : « Pour régir la vie publique, on a multiplié les règles. Mais pas les moyens pour les appliquer. Elles sont peut-être préventives. Mais elles sont forcément contournées. Prenez le financement des partis. Depuis qu’il est encadré, on voit se multiplier les micro-partis. » Sourire d’Orsatelli : « Y a de l’ingéniosité chez les voyous. Quand les associations sont en ligne de mire, on passe à autre chose. » Toutefois, pour Danièle Lamarque, « même si les mécanismes se complexifient, les principes restent les mêmes ». Mais, problème, les élus et les pratiques aussi.
Car, certes, il y a quelques changements. « A Nice, c’est l’opposition qui préside la commission d’appels d’offre », se réjouit Patrick Allemand, le patron de la « Fédé » du PS. Et, Olivier Thomas, candidat à Sanary-sur-Mer, n’est désormais plus seul dans le Var à avoir signé la charte Anticor. Mais, en attendant, la justice retoque près de la moitié des dossiers transmis par la CRC, « avant tout, nous dit-on, parce qu’il y a prescription ». Et, ici comme ailleurs, les casseroles n’empêchent pas d’être réélu.
Y a-t-il, en la matière, une prime ? Non, assure Lascoume : « Même si 70 % des personnes jugent les politiques corrompus, l’électeur est avant tout pragmatique. La question de l’honnêteté est un facteur secondaire. Elle joue toutefois sur le fait d’aller ou non voter. » Et un élu de lâcher : « On ne peut bâtir toute sa campagne sur l’honnêteté. Car, au fond, les électeurs s’en fichent. » Gilles Duteil opine du chef : « Avec 300 millions d’euros par an, on parle du scandale de la fraude à Pôle Emploi. Mais alors, que dire des 12 milliards que représentent les carrousels de TVA, une arnaque où l’on se fait rembourser une taxe que l’on n’a jamais payée et qui laisse insensible l’opinion ? »
Pour Adrien Roux, « même si, avec la crise, la corruption est de moins en moins tolérée, ce qui manque, c’est une volonté politique de la combattre ». Or, les solutions sont connues : une justice indépendante, des décisions transparentes, un contrôle des citoyens, une limitation du cumul des mandats… Pour Renouveau PS 13, « face à la corruption, il n’y a que trois options. Dénoncer, s’en aller ou se taire ». Ce qui n’empêche pas un socialiste aixois de s’interroger : « Si les affaires commencent à sortir, ici, c’est parce que le système est à bout de souffle. Celui de Guérini, lui, semble encore efficace. Sinon, dans un département de droite, il n’y aurait pas tant de collectivités à gauche. Or, si ce système s’effondre, le « 13 » risque de connaître ce qu’a vécu le Var : une bascule brutale à droite. Bien à droite. » C’est peut-être pour ça que Guérini, malgré ses mises en examen, est encore là. Et qu’il a toujours, comme l’aurait « découvert » cet été Hollande, sa carte au PS.
Sébastien Boistel