Contrôle technique de la démocratie participative
Un message sur le portable : « On a discuté de votre demande pour assister à la réunion du conseil citoyen. La réponse est non. Il y a encore trop de problèmes, trop de cafouillages. » Voilà qui en dit long du fonctionnement de ces instances mises en place l’an dernier censées renforcer la participation des habitants dans la vie publique. Car ce qui se passe là à Aix est loin d’être exceptionnel.
En grattant, on trouve quelques cas limites : un étranger menacé d’expulsion repéré sur le listing des volontaires par la préfecture, un habitant un peu trop vindicatif écarté par un élu… Mais ce qui frappe, dans les comptes-rendus des réunions des conseils marseillais (1), ce sont ces expressions : « faiblesse de la participation », « difficulté de mobilisation »… Dans ces conseils où structures associatives et habitants devraient être à égalité, ces derniers dépassent rarement la demi-dizaine.
Ce que confirme le bilan de la coordination locale Pas sans nous : « Il y a une sous-représentation des habitants et une sur-représentation de structures comme les CIQ (Comités d’intérêt de quartier), les centres sociaux, les associations de locataires ou de parents d’élèves. » Et, sur la question de la « diversité », tant du côté des « habitants » (42 %) que des « acteurs » (21 %), celle-ci fait défaut.
Impasse démocratique
Soupir d’un spécialiste des questions d’urbanisme (2) : « Un plafond de verre empêche nombre d’habitants, en particulier dans les quartiers, de participer à la vie publique et, face à cette problématique, cette impasse démocratique, on croit tout résoudre avec… une loi ! » Celle du 21 février 2014, dans le sillage du rapport « Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires » remis au ministère de la Ville à une certaine Myriam El Khomri.
A Marseille, une ville plus habituée aux CIQ qu’à la concertation, on pourrait gloser à l’envi sur les difficultés de mise en œuvre. Il faut dire que, dans des quartiers marqués par l’abstention, s’appuyer sur les listes électorales pour procéder au tirage au sort des habitants fut suffisamment hasardeux pour devoir en passer peu après par un « appel à candidatures » afin de trouver des volontaires. D’autres pointeront – à raison – le découpage territorial des conseils, certains couvrant des secteurs immenses. Sans parler du manque de communication ou du fait qu’avec la métropole, le GIP Politique de la ville est lui-même en pleine restructuration. (3)
Mais ce qui marque, c’est l’âpreté de la matière dont doivent s’emparer ces conseils et le peu de pouvoir dont ils disposent : « Les conseils sont là pour discuter du contrat de ville et, n’ont bien souvent qu’un avis consultatif, lorsqu’ils participent au comité technique et à celui de pilotage, note notre spécialiste. Dans des domaines aussi techniques, comment s’étonner que le technicien ou le notable prenne l’ascendant sur tout le monde ? »
Peur de l’autonomie
Car, au-delà de la participation, ce qui remonte, c’est la place prise par des acteurs associatifs, des militants qui, d’après un intervenant, « connaissent bien les problématiques urbaines mais, restant souvent dans des logiques de confrontation, ne laissent guère de place aux autres ». Commentaire de Pas sans nous : « Si, chez les "acteurs", on est dans l’entre-soi, les habitants, eux, sont dans un entre-deux. On leur demande d’être des super-citoyens, il y a une injonction à la participation et, en même temps, ce qui est abordé est très loin de leur réalité. Il faudrait armer les habitants. »
Le collectif se méfie toutefois des associations accompagnant la mise en place des conseils. Commentaire de l’une d’elles : « Ce que les élus craignaient, c’est que ces conseils soient trop autonomes. Or, si on les laisse à elles-mêmes, sauf exception, au mieux, ils vivotent. Voire périclitent. » En ce moment, ARDL (Association régionale pour le développement local) et l’Université du Citoyen, deux structures marseillaises qui épaulent les conseils citoyens en Paca, planchent sur un « diagnostic ». Et c’est peu dire qu’il y a du pain sur la planche. Sur la participation. Mais aussi sur la place de structures qui ne sauraient être de simples relais, encore moins un alibi, et pas seulement de « super » CIQ. Des questions qui ont animé début octobre à l’école de la seconde chance de la cité phocéenne les « rencontres citoyennes », la très officielle réunion des conseils citoyens locaux.
Le week-end précédent, Marseille accueillait les Rencontres nationales des tables de quartier, transposition d’une expérience née dans les années 70 au Québec, où, face à des « projets de transformation urbaine, des associations et des habitants ont décidé de se mobiliser pour se faire entendre, explique Jérémy Louis, coordinateur de l’expérimentation pour la Fédération des centres sociaux. Les tables auraient pu préfigurer ce qu’allaient être les conseils citoyens. Mais, ce qui les caractérise, c’est leur autonomie par rapport aux pouvoirs publics. Ce qui n’est pas, même si le conflit n’est pas forcément dans leur ADN, sans anicroche. »
Sur les 25 tables existantes, Marseille en compte, à elle seule, 3 : St-Gabriel, Malpassé et la Rouguière. « Elles sont dans l’attente d’un financement public pérenne, note Jérémy Louis. Alors qu’il faudrait, a minima, un coordinateur national, on arrive au bout de l’expérimentation sans savoir quel sera l’avenir des tables. Car avec les conseils citoyens, le risque, c’est qu’ils concentrent l’essentiel des financements… »
1. A lire sur www.polvillemarseille.fr/conseilscitoyens.htm
2. La plupart des témoins de cet article souhaitent rester anonymes. Ambiance !
3. En charge de ces questions, Arlette Fructus n’a pas répondu à nos sollicitations.
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°144, daté d’octobre 2016