« On n'a peut-être pas la même idéologie »
18:42
Le front en sueur, le reporter du Ravi arrive en retard. Un bouchon monstre à la sortie de Marseille est en cause. La séance a débuté a 18h30. Il se fera raconter plus tard les premières minutes. Le maire, Bernard Jeanmet-Péralta (LR) est excusé. A 82 ans, victime d’une mauvaise chute, il est hospitalisé pour plusieurs côtes cassées. Bouc fourni et moustache à la d’Artagnan, c’est son premier adjoint, Bernard Diguet, qui préside. Une minute de silence a été observée en hommage à Jacques Chirac, décédé le jour même à 86 ans.
18:49
Jean-François Pellerray, bouclettes grisonnantes peignées en arrière et moustache à la Jean Ferrat, trépigne sur sa chaise. Tandis que l’assemblée écoute la présentation d’une étude sur le sentiment d’insécurité des Manosquins, le conseiller d’opposition Front de gauche brandit son bras, à la façon d’un écolier enthousiaste, pour demander la parole. Sans succès, la présentation poursuit son cours.
18:53
« Seulement 27 répondants, soit 3 % de l’échantillon des répondants, place la délinquance en tête de leurs préoccupations », expose le rapporteur de l’étude. Ce qui ne l’empêche pas de disserter depuis de longues minutes sur des statistiques à propos de faits de délinquance et de ressentis d’insécurité. « Pauvreté, chômage, pollution », sont pourtant les trois premiers thèmes en haut de la liste, considérés en priorité par les enquêtés, et la délinquance… le dernier. La synthèse projetée au mur insiste sur le « terrorisme » comme quatrième de la liste, sans livrer de commentaires sur les trois précédents.
19:07
« L’observation est faite depuis 2015, date où les premières caméras, censées faire baisser la délinquance, ont été installées. Ça a coûté un million et ça ne sert à rien », attaque Émilie Lauvergeon, élue d’opposition Front de gauche. Bernard Diguet joue dans la surenchère : « Moi-même je ne peux pas me substituer à l’État. De cesse monsieur le maire intervient auprès du ministre de l’Intérieur, que vous connaissez bien, [Christophe Castaner, député et ancien maire de Forcalquier], pour qu’il y ait plus d’effectifs de police nationale. Et de nombreux policiers municipaux nous ont quittés, tout simplement parce qu’ils n’étaient pas armés. » Munir les agents de flingues, longtemps, le sujet est resté un point de divergence entre le maire et son premier adjoint.
19:21
Le débat s’enlise. « Si les chiffres [de la délinquance] n’ont pas explosé, c’est grâce à l’action des associations. On devrait plutôt leur donner un million [plutôt que de financer les caméras] », martèle Émilie Lauvergeon, après qu’une responsable des actions sociales ait fait un compte rendu de l’activité des associations dans les quartiers. « Concernant l’Arlésienne des caméras vidéo, on a des résultats nationaux et internationaux qui montrent la parfaite inutilité de cette technologie. Il faut que l’on arrête ça. La délinquance est un problème humain, sociétal, parce que des gens sont exclus, que l’on a ghettoïsé certaines populations », ajoute Jean-François Pellerray. « Je ne peux pas vous laisser dire que depuis 5 ans on n’a rien fait. On est très présent. La collectivité a compris le malaise dans ces quartiers. On fait par exemple un travail avec Vacances pour tous. On emmène 80 enfants, c’est déjà une petite victoire », s’étrangle l’adjointe à la jeunesse et aux sports, Dominique Alunno.
19:34
A propos du bilan de la communauté de Durance Luberon Verdon Agglomération (DLVA), Jean-François Pellerray dénonce, « un document de propagande d’une politique ultralibérale mise en place à l’encontre des populations ». Le premier adjoint est impassible, la main gauche posée sur la joue. « On parle encore de zones d’activités en périphéries de villes désertifiées. On dilapide des centaines d’hectares de terres agricoles pour mettre du béton », poursuit l’élu d’opposition. Dans la majorité, un brouhaha monte. « Sur le logement on est toujours à la masse avec 61 nouveaux logements sociaux pour 80 lucratifs », affirme monsieur Pellerray. Bronca des élus de la majorité. « On n’a peut-être pas la même idéologie », conclut l’élu Front de gauche. « Et heureusement ! », cingle Michèle Barrières, conseillère de la majorité.
19:49
« Délibération numéro 2. Débat d’orientation sur le PADD, [projet d’aménagement et de développement durable]. Jacques Brès », introduit Bernard Diguet d’une voix monocorde. L’adjoint à l’urbanisme s’exécute pour présenter le projet de document : « Il faut maintenir Manosque en tant que ville centre de la DLVA, parce qu’aujourd’hui on perd de la population. Il faut valoriser les entrées de ville, ne pas toucher à la qualité environnementale des zones naturelles et éviter de toucher aux terres agricoles », tout en « construisant 170 logements de plus par an sur 15 ans ». La ville la plus peuplée du 04 est pourtant déjà tristement réputée pour son extension pavillonnaire et sont taux de logements vacants important.
20:21
Toujours sur le PADD, monsieur Brès demande s’il y a des questions. « Pour éviter une situation habituelle, on vous invite à prendre la parole la majorité », propose Jean-François Pellarray. « Et tu ne la prendras pas après ?! », lui lance-t-on depuis la majorité. « Ben si, c’est ça la qualité du débat », rétorque l’élu d’opposition. « Je trouve dommage que l’on ne fasse que des immeubles et pas du vert et des jeux pour les enfants », dit l’adjointe à la jeunesse et aux sports. « Sur les terrains dont on a la maîtrise foncière c’est ce qu’on a envie de faire », abonde Bruno Martin, l’adjoint aux espaces verts, sous son allure de startuper. Discrètement, Émilie Lauvergeon quitte la salle du conseil.
20:31
« Je vous remercie pour cet échange. Mais on manque d’originalité, au-delà de se cantonner à l’affirmation d’un développement durable, qui est un slogan de marchands de lessive », s’amuse presque Jean-François Pellarrey. « C’est notre obligation légale et c’est l’appellation officielle, ne remet pas ça sur notre compte », coupe Jacques Brès. « Maintenir Manosque comme ville centre, oui. A condition que les autres puissent aussi exister », poursuit Pellarrey. Puis il s’inquiète de l’avenir du quartier de Saint-Alban, dont il faudrait « préserver le caractère rural ». « Ça fait bien 15 ans qu’ils n’y ont pas récolté une pomme », s’agace Armel Le Hen, délégué aux finances et dauphin désigné par le maire. « Ce n’est pas pour ça que l’on ne peut pas permettre à de jeunes paysans de s’installer », répond Jean-François Pellarrey.
20:54
Dans la demi-heure qui suit, les décisions d’affaires courantes, de subventions et d’emplois de la municipalité s’enchaînent par des votes à l’unanimité.
21:23
A l’occasion des questions diverses, Jean-François Pellarrey propose de préparer une délibération pour une prochaine séance afin de dénoncer « la désertification des services publics. Il est important que l’on marque notre désapprobation de cette entreprise industrielle de déstructuration des services publics ». La proposition semble plutôt approuvée, sans toutefois emporter les foules. Puis l’élu invite ses homologues à un rassemblement départemental le samedi suivant pour « manifester notre mécontentement vis-à-vis de ce dépouillement ».
21:28
Séance levée après le laïus de l’élu Front de gauche. Les élus de la majorité se retrouvent autour d’un pot habituel installé dans un coin de la salle du conseil. A Manosque, il y a de la convivialité !
Illustration (dessins de Trax) : en grand, Bernard Diguet, 1er adjoint LR / au milieu, Jean-François Pellarrey, conseiller d’opposition Front de gauche / en bas, Michèle Barrières conseillère municipale déléguée aux ressources humaines LR.