Communautés communes
C’est un geste digne des millions d’euros que Martine Vassal, présidente LR de la métropole Aix-Marseille-Provence et du Département des Bouches-du-Rhône, vient de lâcher aux catholiques (voir page 10). Dans quelques mois, les Pieds-noirs vont disposer à Aix-en-Provence d’un conservatoire national de la mémoire des Français d’Afrique du nord. Un projet de 1 450 m2 et 4,6 millions d’euros, financé aux deux tiers par la ville d’Aix, le CD 13, la région Paca et AMP.
Si le vote Pied-noir se dilue aujourd’hui dans la moyenne nationale, en particulier chez les enfants des rapatriés, leur nombre justifie cependant pour les élus toute leur attention (1). « Tous les maires savent qu’ils ont leur quota de rapatriés », affirme Robert Perez, président du collectif aixois des rapatriés qui revendique l’affiliation de 18 associations, les conférences du Cercle algérianiste ou encore un « travail mémoriel et patriotique ». Tout en reconnaissant : « Nos descendants sont passés à autre chose et nous on se dilue dans le tissu français. » Jamais, d’ailleurs, ce natif d’Alger n’utilise le mot « communauté » pour désigner les Pieds-noirs.
Sociologue, spécialiste de l’islam de France, Vincent Geisser parle par contre « de vrai groupe de pression ». « Les pouvoir locaux ont besoin de s’appuyer sur les groupes sociaux, explicite de son côté le sociologue Julien Taplin (2). Mais avec la baisse des ressources du clientélisme – logements, emplois -, ils ont eu besoin de trouver de nouveaux moyens d’affilier. C’est passé par le financement d’associations, parce que telle ou telle communauté ethnique peut être décisive. » Et de noter : « C’est le jeu des représentants des communautés [de vendre au mieux leur capacité de mobilisation], mais il y a souvent une surestimation des élus de leur pouvoir d’entraînement. » Acquiescement de Vincent Geisser : « Ils ont peur de les perdre. Quand il y a un enjeu, [ils ne peuvent] pas les ignorer alors que les communautés invoquées ne sont que les minorités des minorités. Les élus se battent par exemple pour aller dans les fêtes musulmanes. » Des pratiques que revendiquent rarement les élus (3).
Communautés d’apparence
Si elle s’en défend, Cécile Muschotti, députée LREM de Toulon, n’échappe pourtant pas à la « symbolique communautaire », pour reprendre l’expression de Michel Péraldi et Michel Samson, en 2005, dans leur essai Gouverner Marseille. Tout en se demandant « comment un rabbin ou un curé peut mobiliser de l’électorat », en assurant que « les nouvelles générations dépassent le clivage communautaire » et de ne pas se vanter « de ses origines Pieds-noirs », l’ancienne socialiste répond aux invitations de rupture du jeûne « à titre amical », « travaille avec l’union diocésaine du Var », discute « avec les associations de familles cathos sur la PMA » ou répond aux sollicitations d’associations de harkis pour rédiger une proposition de loi sur l’indemnisation de la deuxième génération. Et de jurer : « Je ne leur demanderai rien. » Le bonheur du « en même temps » !
Du côté des principaux intéressés – Arméniens, Comoriens, Corses, Italiens, Musulmans, pour ne citer que les principaux groupes invoqués en Paca -, c’est plutôt la soupe à la grimace. « Après deux ou trois générations, que reste-t-il de l’esprit communautaire ? », interrogeait aussi le Marseillais d’origine corse, et ancien député européen socialiste, Frédéric Rosmini dans notre dossier sur l’Ile de Beauté (le Ravi n°153). « A Marseille, il n’y a pas de quartier juif ou homo, au même titre qu’on ne peut pas parler de communauté marseillaise hors Marseille, comme on a pu par exemple parler des Auvergnats – en fait des Aveyronnais – à Paris », insiste Vincent Geisser.
Pour les musulmans le problème est encore plus compliqué. Alors que traditionnellement, ils se répartissent selon leurs origines nationales, leur lieu de culte, « ils subissent une forte assignation identitaire, explique Julien Talpin. Ils sont musulmans d’apparence ». Voire terroristes. « Quand on est venu se recueillir sur la promenade des Anglais après les attentats de Nice, on s’est fait insulter. Alors que beaucoup d’entre-nous avaient été tués », raconte l’imam Ben Salem. Et ce jeune Niçois de poursuivre : « On ne demande rien de particulier, juste l’égalité avec le reste de la population. Ce sont les discours politiques et médiatiques, les discriminations qui créent un repli communautaire. On a donc besoin de s’organiser pour se faire entendre. »
Communauté de riches
« Le communautarisme est une arme politique, il n’a pas de réalité sociologique. C’est une promotion d’entre-soi », note encore le sociologue. Et d’illustrer : « Il n’y a pourtant rien de plus banal : chez les classes sociales supérieures, il y a une très forte homogénéité car, pour elles, il y a un fort enjeu de reproduction de la domination. » En Paca, cette communauté souvent oubliée est d’ailleurs très importante. Et comprend même une forte proportion de très riches : une poignée de milliardaires, une bonne dizaine de milliers de millionnaires, un temps assujettis à l’ISF (le Ravi n°162), souvent descendants de grandes familles industrielles, et des oligarques russes (lire page 12), des pays du Golfe et d’ailleurs. Signe de cette puissance : depuis deux ans, Cannes accueille le salon de l’immigration et de la propriété de luxe. « Un salon de l’exil fiscal », résume Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, l’association altermondialiste. Et de dénoncer : « C’est amusant de voir que pour les riches, on s’en fout des papiers. »
C’est aussi une communauté qui vit en vase clos, en « ghettos » même, pour reprendre le mot du militant. « Il existe une vraie ségrégation spatiale, avec le développement de résidences fermées et sécurisées, de quartiers de riches dans les villes, mais aussi sur des territoires précis. Le Pays d’Aix, le Cap d’Antibes mais surtout Beaulieu, Villefranche-sur-Mer et Saint-Jean Cap Ferrat entre Nice et Monaco », détaille ce prof de sciences économiques et sociales installé à Avignon… une des villes les plus pauvres de France. Sans oublier leur paradis (fiscal) : Monaco.
« Il y a pourtant un enjeu à se réapproprier les communautés, rappelle Julien Talpin. Elles sont mal vues en France, renvoient à l’identité, la religion, parce que notre nation et notre république se sont construites en opposition à elles. Mais ce sont juste des groupes structurés dont les membres partagent des expériences, des intérêts. La société et chacun de nous sommes faits de multiples communautés. Qu’elles soient politiques, de voisinage, d’habitants, il faut donc les faire vivre. »
- le Ravi n°12, octobre 2004
- Coauteur avec Marwan Mohammed de Communautarisme , PUF, 2018.
- Plusieurs maires, parlementaires, conseillers régionaux ont préféré décliner notre sollicitation sur le sujet.
Jean-François Poupelin
Enquête publiée dans le Ravi n°174 de juin 2019