Cinémas à Marseille : l’art du décès
Non, Marseille, ce n’est pas qu’un navet avec Kad Merad ou une daube avec Depardieu. « C’est aussi une ville atypique côté cinéma, affirme Juliette Brimont, du Gyptis, la salle de la Friche de la Belle de Mai. Il n’y a qu’un lieu labellisé "art et essai", l’Alhambra, à l’Estaque. Nous, qui devrions l’être, avec notre programmation thématique, on ne rentre pas dans les cases. A côté, les multiplex se classent juste derrière les grosses salles parisiennes. Mais un tiers des films qui sortent chaque semaine ne sont pas visibles dans cette ville où il y a pourtant quantité de festivals et des petites salles expérimentales qu’on trouve d’ordinaire dans les pays où il n’y a pas de structure comme le CNC (Centre national de la cinématographie). » Shellac, le distributeur pour lequel Juliette Brimont travaille, envisage d’ouvrir une salle, en centre-ville, « sur le cours Julien, non loin du Vidéodrome. Mais on se connaît assez pour ne pas se gêner ».
Une entente qui détonne dans un paysage local entre champ de bataille et ruine. Dix ans après sa présentation, le projet de multiplex de Luc Besson devrait sortir de terre dans le nouveau quartier de la Joliette. A moins que de nouvelles péripéties n’engendrent de nouveaux retards. Pour l’heure, Europa Corp, la société de Besson, a surtout bataillé avec succès contre un autre projet de multiplex au centre commercial Grand Littoral… Soupir au Gyptis : « Entre les multiplex et les petites salles, il n’y a pas d’intermédiaire. » Au point que le patron du Prado et du Chambord, puisse affirmer que ce dernier « est un véritable cinéma d’art et d’essai ».
Des lieux de rencontres
Dans ce contexte, « Pensons le matin » vient de questionner la place du cinéma dans la cité phocéenne, rappelant qu’il y a eu jusqu’à une dizaine de cinémas sur la Canebière. Ou que les Variétés et le César, les cinémas du centre-ville de Marseille, ont pu, un temps, se retrouver en situation de quasi monopole ! Mais aujourd’hui, les deux établissements s’enfoncent surtout dans les difficultés : perte du label « art et essai », grève des salariés au début de l’année pour être payés et même occupation, début mai, par le réalisateur du documentaire « La fête est finie » afin de récupérer les quelques milliers d’euros que lui doit le propriétaire, Galeshka Moravioff. Une affaire sur laquelle ce dernier, en conflit avec le CNC, refuse de revenir mais qui traduit les difficultés de ces salles.
Voilà pourquoi vient de se créer l’association des « amis des Variétés » qui affirment non seulement leur « soutien » à l’équipe, mais aussi leur « attachement » à un établissement devenu « un lieu de rencontres et de partage ». « Il y a quatre ans, on aurait pu baisser les bras et tout arrêter, explique Linda Mekboul, des Variétés. On a préféré se démener pour accueillir des petits films, des festivals mais aussi des associations. Car un cinéma, ça ne peut pas se réduire à sa programmation. » Ce que confirme William Benedetto, le directeur de l’Alhambra, en mettant en avant le travail fait « sur le quartier, avec les écoles ». Et Florence Pazzottu, écrivaine et poète à l’initiative de l’association, d’asséner : « On ne peut se contenter de regarder sans rien faire. »
Il y a en effet urgence. Car, après le projet avorté de Mk2 en haut de la Canebière (soutenu par le socialiste Patrick Mennucci alors maire de l’arrondissement), s’en profile un autre, Artplexe, un multiplexe « art et essai » avec bar et salle d’expo, défendu par la nouvelle patronne du 1/7, Sabine Bernasconi (LR), à moins de 500 mètres des Variétés, à l’emplacement actuel de la mairie de secteur.
Broadway sur Canebière
Interrogé, Jean-Jacques Léonard, le patron d’Artplexe (une société au capital de 800 euros), nous renvoie vers son attachée de presse qui se refuse à communiquer « avant que le dossier ne soit bouclé, vraisemblablement à la rentrée. Mais ça avance ! » Ça se précipite même. « Fin 2017, on devrait s’installer à la maison de la Région et, dans le même temps, les travaux pourront commencer en haut de la Canebière », explique au Ravi Sabine Bernasconi. Malgré tout, Moravioff refuse d’y croire : « Ce cinéma a une chance sur 500 d’ouvrir. Moi, j’ai investi et perdu 6 millions d’euros. Aujourd’hui, les villes qui se distinguent, ce sont les grandes métropoles et en France, 80 % des flux financiers liés à la culture passent par Paris. Marseille, ce n’est donc pas une belle à marier, c’est une femme à entretenir. »
Linda Mekboul, elle, voudrait croire qu’il y a « de la place pour deux cinémas sur la Canebière ». Mais un de ses collègues s’interroge sur la stratégie de la mairie « surtout quand on sait que les murs des Variétés leur appartiennent ». Qu’importe, Bernasconi rêve d’une Canebière façon « Broadway » ou « Soho » ! « Des quartiers où le prix du mètre carré dépasse les 30.000 euros », grimace Patrick Lacoste, d’« Un centre-ville pour tous ». Et un cinéphile de conclure : « Le plus dramatique, c’est que l’appauvrissement des cinémas marseillais s’accompagne de la dégradation de l’image de Marseille. Ne restent plus que les clichés, la caricature. » En clair, les bouses de Kad Merad, les daubes de Depardieu…
Sébastien Boistel
Enquête publié dans le Ravi n°142 daté juillet-août 2016
Communiqué de l’association des Ami.e.s et partenaires du cinéma Les Variétés
– Ce samedi 17 septembre 2016 une soirée de soutien aux salariés (sans salaires depuis bientôt trois mois) des cinémas Les Variétés & César à Marseille était organisée par l’Association des amis et partenaires du cinéma les Variétés. Constituée le 9 juillet dernier pour soutenir l’équipe de ces cinémas, et pour protéger et favoriser les liens et la dynamique culturelle qui s’y sont développés, l’association tenait également ce samedi 17 septembre au cinéma les Variétés sa première grande assemblée générale. Plus de 300 personnes se sont réunies, prouvant ainsi l’attachement qui existe à Marseille – et au-delà – aux cinémas Les Variétés & Le César.
L’Association des amis et partenaires du cinéma les Variétés, au conseil d’administration de laquelle sont entrés notamment le FID*, l’AARSE*, Image de Ville, Pensons-le-Matin, les Instants Video, FFM*, Aflam, le Videodrome2, le Méliès de Port-de-Bouc, Dodeskaden, Polly Maggoo, Primitivi, Ciné Zooms, Alt(r)a Voce, des réalisateurs, des producteurs, et, bien sûr, des spectateurs, est désormais riche de 500 membres, qui affirment leur volonté de voir ces cinémas retrouver une gestion saine et, avec elle, la place qui doit être la leur dans la ville.
L’association appelle à une nouvelle soirée de soutien à 19h au cinéma les Variétés, le mercredi 21 septembre, jour où le Tribunal de Commerce de Paris, saisi par différents créanciers, doit statuer sur l’état financier de la société qui gère les deux cinémas et qui ne paie plus les salaires depuis juin. Soyons de plus en plus plus nombreux à nous déclarer solidaires de l’équipe salariée qui, dans des conditions difficiles depuis longtemps, fait vivre ces deux cinémas, et affirmons notre attachement à ces lieux, aux liens culturels et au dialogue qui s’y sont initiés.
Ensemble, engageons-nous, par notre réflexion et nos initiatives, à ce qu’une solution durable et pertinente – tant d’un point de vue économique et social que culturel – voie le jour. Ce n’est pas seulement l’avenir de ces cinémas mais une certaine vision de la Cité que nous défendrons alors.
Nous appelons donc les habitants de Marseille et de sa région à venir nous rejoindre pour une Assemblée de soutien le 21 septembre 2016 à 19h au Cinéma les Variétés 37 rue Vincent Scotto 13001 Marseille
(*) FID (Festival international de cinéma), AARSE (Association des auteurs-réalisateurs du Sud-Est), FFM (Films femmes Méditerranée).
L’association des amis et partenaires du cinéma Les Variétés
Information / adhésion : lesamisdesvarietes@gmail.com
L’appel des ami.e.s et partenaires du cinéma Les Variétés
Nous, spectateurs, cinéastes et artistes, producteurs et diffuseurs de cinéma, collectifs de création artistique et collectifs citoyens, associations culturelles, habitants de Marseille et de sa région, affirmons notre attachement à l’existence du cinéma les Variétés et notre soutien à une équipe qui par son travail depuis des années fait vivre, en plein centre-ville de Marseille, ce lieu doté de cinq salles d’exploitation cinématographique, d’une galerie où sont très régulièrement proposées des expositions, et d’un espace-bar où se poursuivent les échanges après les projections.
Aujourd’hui, grâce à l’engagement professionnel de cette équipe, à l’accueil de festivals et de réalisateurs, à l’organisation de séances spéciales et de soirées ouvertes à la diversité de la création cinématographique et à d’autres formes d’art et de pensée, ce cinéma au coeur de la cité est devenu un lieu de rencontres et de partage pour tous, et s’y est inventé tout un tissu de relations, d’échanges, sur lequel il nous apparaît urgent de veiller et que souhaitons voir se développer.
Nous créons donc ce jour une Association des amis et partenaires du cinéma les Variétés et invitons à y adhérer toute personne désireuse d’y participer.
Marseille, le 9 juillet 2016
Pour joindre les ami.e.s et partenaires du cinéma les Variétés, le site c’est par ici
Pour joindre les ami.e.s et partenaires du cinéma les Variétés, le facebook c’est par là