Chronique d’un racisme ordinaire
La fin de la matinée est grise dans cette petite ville de 5000 habitants, perdue au milieu des vignes. A Bédarrides, on a voté à plus de 50 % pour Marion Maréchal-Le Pen et 40 % pour Marine Le Pen au 1er tour des présidentielles. Pourtant, pas de prières de rue ni de cités délabrées à l’horizon. Pour comprendre, rien de mieux que le PMU à l’heure de l’apéro. « Oui on est tranquille ici, et on a envie que ça le reste, assure Michel, derrière son bar, qui ne se cache pas de voter FN depuis quelques élections. Et puis on parle de construire des logements sociaux, ça ne nous rassure pas. Les gens avaient de l’espoir et on ne voit rien venir à l’horizon. Quand on regarde dans les journaux tout ce qui se passe ailleurs… ce sont souvent les mêmes ! »
Mais on se défend d’être raciste. « J’ai des amis italiens, espagnols et même arabes… », jure Jean-Paul, qui dégaine immédiatement une photo de lui avec Maréchal-Le Pen prise « à la foire aux chevaux ». « Il faut les mettre au travail c’est tout, reprend Michel. Mais ils préfèrent trafiquer la drogue, ils paient moins de taxes… » Tout le monde acquiesce. Ils verraient d’un bon œil l’élection d’un maire FN, en prenant comme exemple Orange, « une ville fabuleuse ».
En 2008, c’est pourtant un maire divers gauche qui a été élu. « C’est vrai qu’il y a une tendance lourde ici mais c’est en même temps une des villes les moins politisées du territoire, analyse Joël Sérafini, le 1er édile. Il n’y a pas de lignes partisanes, les gens se sentent plus libres et puis, on est dans le midi, on aime bien renverser la table… » Joël Gombin, doctorant en sciences politiques et spécialiste du vote FN en Vaucluse, retient le concept de « rurbanité ». Ces territoires touchés par l’étalement urbain, pas tout à fait ruraux, et soumis à une forte pression foncière : « Il y a une concurrence extrêmement forte entre les natifs et les autres qu’ils perçoivent comme immigrants. Qui sont parfois des « Français », souvent mieux qualifiés, avec un meilleur pouvoir d’achat. »
A Carpentras, le vendredi, c’est jour de marché dans toute la cité fortifiée. Antonia, une animatrice socioculturelle, est assise en terrasse avec sa mère, qui porte le même prénom, et deux autres dames. Une mère, immigrée espagnole et carpentrassienne depuis plus de 40 ans, et une fille aux idées politiques totalement opposées.
– « Oui, je suis d’extrême droite, je n’ai pas peur de le dire. Vous savez ici, la droite, la gauche, ils ont fait leurs petites affaires, il faut un bon coup de balai. »
– « Et tu crois que ça changera quelque chose maman ? Tous ces gens dans les quartiers, il faut voir où ils vivent, même les chiens sont mieux lotis. Le FN ne fera rien pour eux. »
– « Oui, mais qui a mis ces logements dans cet état-là ? Ils sont bien mieux lotis que quand nous sommes arrivés, ils ne travaillent pas et on leur donne tout. »
Elle reproche finalement aux autres ce qu’on a pu lui reprocher par le passé. Sa fille lève les yeux au ciel. Mais elles sont d’accord sur un point, elles aiment leur ville, où il fait bon vivre.
– « L’insécurité c’est un fantasme, mon mari est policier, il n’y en a pas plus qu’ailleurs et qu’avant. »
L’insécurité, un des angles d’attaque du FN carpentrassien. Pour Julien Langard, le responsable du canton sud, « personne ne se balade dans le centre ville le soir car c’est dangereux ». Peut-être parce qu’il n’y a pas grand-chose à faire ? Fantasme ou non, le sujet est aussi l’une des priorités de Francis Adolphe, le maire PS : « Il ne s’agit pas de durcir à tous crins mais de redonner un sentiment de sécurité. On a travaillé là-dessus et ça a payé. Pour 1000 habitants, on compte 68 actes délictueux. A Avignon, c’est le double. » Mais les cambriolages n’ont pas disparu, comme au Pous du Plan, une des cités HLM de la ville. Une petite zone pavillonnaire au vote FN très important où les panneaux « chiens méchants »côtoient les barres d’immeubles.
« Voyez cette maison, ils se sont fait cambrioler deux fois en un mois. Ici les baraques ne valent plus rien, raconte Jackie qui n’habite pas loin. Les gens ne sortent plus. Et puis, ils votent FN car ils en ont marre de la politique, des Ferrand qui règnent pendant 30 ans sans passer la main. » Plus loin, une dame attend le bus, elle a l’air ailleurs : « Le vote FN ? On m’a volé 10 000 euros de bijoux ! Je vote pour eux et je le referai ! » Pour Farid Faryssy, l’ex 1er adjoint socialiste, le FN cible les « white poor », la classe moyenne « blanche » paupérisée, et « ça a l’air de marcher ». Mais il assure aussi que certains Maghrébins ne se cachent plus de voter FN car « finalement, ce sont eux qui vivent le plus l’insécurité. Et c’est aussi eux qui peuvent faire la balance électorale ». Un FN qui gangrène, qui gangrène…
Clément Chassot