Chasse aux pauvres au CD 13
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Alors que huit présidents PS de conseils départementaux annoncent leur volonté d’expérimenter le revenu de base en remplacement des minimas sociaux sur leurs territoires, dans les Bouches-du-Rhône, la LR Martine Vassal se lance dans « la lutte à la fraude au RSA » (revenu de solidarité active), cette allocation de 536 euros mensuels versée au plus démunis dont elle a la compétence. Si la vérification des déclarations et des démarches des bénéficiaires du RSA n’est pas une nouveauté – elle était depuis sa création dévolue aux organismes payeurs (la CAF et la mutuelle sociale agricole) -, le CD 13 version Républicains est très zélé (1). Il en a même fait l’un des quatre axes majeurs du Plan départemental d’insertion 2017-2019. En septembre 2016, il s’est ainsi doté d’un service des contrôles administratifs de six personnes chargées de coordonner cette politique, en renforcement des contrôleurs présents dans les 26 pôles d’insertion présents sur le département et des contrôles CAF et MSA. Mieux, la collectivité a signé en 2017 des conventions d’échanges de données avec le Régime social des indépendants, Aix Marseille Université et la Caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône (CPAM 13). L’objectif est de vérifier qu’auto-entrepreneurs, étudiants et bénéficiaires de la couverture maladie universelle ne perçoivent pas indûment l’allocation. Profilage et discriminations Signe que l’on n’arrête pas le progrès, la CPAM a désormais le pouvoir, comme les impôts, d’accéder aux comptes des suspects. Ce que le CD 13 ne manque pas de rappeler dans la convention signée fin novembre. « Comme les prestations sont conditionnées aux ressources, cela nous permet de vérifier qu’il n’y a pas d’incohérence », explique Frédéric Meinasseyre, le sous-directeur du contrôle et du contentieux de la CPAM 13. Avant de préciser : « Jusqu’au changement de majorité, nous n’avions jamais eu une telle demande. » Ni même un tel volontarisme : la convention a été signée et l’expérimentation lancée sans que le département n’ait le feu vert de la commission nationale Informatique et Liberté ! Pire, dans un rapport sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales rendu en septembre, le très chiraquien défenseur des droits Jacques Toubon s’inquiète « d’une définition trop extensive de la fraude », de contrôles qui ressemblent à « des enquêtes à charges » et de méthodes de profilage potentiellement discriminatoires dans les échanges des données. Alors même que la fraude au RSA est dérisoire : en 2015, elle représente 100 millions d’euros au niveau national pour des dépenses d’allocation de 8,5 milliards d’euros (2), quand la fraude fiscale se chiffre à plus de 21 milliards d’euros annuels ! Mais pour Martine Vassal, la problématique de l’insertion semble avant tout comptable. Avant de détailler ses mesures, son PDI 2017-2019 met d’abord en avant la chute du nombre de bénéficiaires entre 2015 et septembre 2017 : 76 000 à 67 880. Un miracle pourtant dû à la signature de charrettes de contrats aidés (quelques 5 500 sur 2016 et autant en 2017), dont la fin promet une douche froide… « Confronté à une hausse structurelle de ses dépenses sociales, le conseil départemental recherche des marges de manœuvres », explique-t-on du côté de la chambre régionale des comptes, qui note dans un rapport sur le sujet, rendu en septembre, que les allocations RSA ont bondi de 379,27 millions d’euros en 2011 à 473,74 millions d’euros en 2015, dont seulement 371 millions d’euros ont été compensés par l’Etat cette année là. « La collectivité a trois solutions : se tourner vers l’Etat pour récupérer son dû, mieux maîtriser ses dépenses, lutter contre la fraude », poursuit la juridiction financière. Le Dogme LR Un discours qui passe mal du côté de l’opposition. « La majorité se dit pragmatique, mais elle est dogmatique, peste Benoît Payan, conseiller départemental socialiste. Sa philosophie est libérale, elle considère que les bénéficiaires du RSA sont des assistés, alors que le territoire contient des poches d’extrême précarité et qu’il est dans une santé financière exceptionnelle ! » Pour les travailleurs sociaux c’est surtout la politique d’insertion du département, désormais centrée sur le retour au travail, qui pose problème. « On ne peut pas sanctionner des gens qui ne sont pas prêts à retravailler, des gens avec des ruptures de parcours, se désole la CGT de la collectivité. Dans le dispositif, on oublie les besoins en accompagnement qui demandent des moyens sur le long terme. » « Le Département ne veut pas comprendre la réalité du territoire. Il y a une inadéquation entre les demandes en postes qualifiés et les profils RSA, des personnes avec un parcours sans emploi long, qui sont isolées et en souffrance parce que le marché du travail ne veut pas d’eux », relève également une assistante sociale d’un chantier d’insertion marseillais. Et de râler : « Comme ils ne peuvent agir sur les causes, ils agissent sur les conséquences. » Pour fêter sa victoire, Martine Vassal a aussi réduit, dès 2015, l’accès à la surprime de Noël du département aux seules familles allocataires du RSA avec des enfants de moins de 12 ans (8,5 millions d’euros d’économies) et modifié les conditions d’attribution de l’aide au transport (3 millions d’économies). Plus que des symboles. Jean-François Poupelin 1. Marine Pustorino, vice-présidente à l’insertion, n’a pas répondu à nos sollicitations « pour une question d’agenda ». 2. ATD Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté (2017).