Centres d’attente et de désorientation
« Il y a quelque chose qui bloque, lance un résident d’un des sept Centres d’accueil et d’orientation (CAO) de Marseille. Certains travailleurs sociaux veulent nous aider mais ne le peuvent visiblement pas. » En octobre dernier lors du démantèlement ultra-médiatique de la jungle de Calais, le gouvernement avait promis aux migrants acceptant de jouer le jeu « de bénéficier d’un temps de répit et de reconsidérer leur projet migratoire, sans que cette offre soit nécessairement conditionnée par le dépôt préalable d’une demande d’asile ». Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Offi) recensait fin décembre 380 personnes provenant de Calais, sur 7153 personnes à l’échelle nationale. Des chiffres qui ne prennent pas en compte les évacués en novembre de l’Ile-de-France.
En théorie, au bout d’un mois, l’offre du gouvernement expirait si une demande n’était pas déposée. En pratique, les préfectures semblent actuellement jouer la montre pour les demandeurs d’asile toujours présents. « Notre problème, c’est Dublin », confirme notre témoin. La moitié de ceux envoyés, comme lui, dans les CAO sont en effet directement concernés par la procédure Dublin III. Elle conditionne le dépôt de l’asile dans le premier pays signataire (l’Union Européenne, l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse) où les empreintes digitales ont été relevées puis stockées dans une base de données commune. Malgré l’engagement du ministre de l’Intérieur, l’application du « transfert » dépend de la réponse du pays responsable et de la volonté du préfet. En attendant, l’Ofii incite au retour volontaire dans ce pays ou dans le pays d’origine.
Accueil au rabais
Même si aucun « renvoi » ne semble avoir été effectué pour les « dublinés » de Calais en Paca, l’inquiétude prédomine chez les demandeurs d’asile, renforcée par l’attentisme de l’administration. Quant aux structures accueillantes et aux travailleurs sociaux, ils sont débordés par la situation. « Un CAO n’est pas un hôtel gratuit », souligne à juste titre Samir Lassouani, chef de service à l’accueil des étrangers de l’association Sara (1). Elle gère cinq CAO de Marseille, auxquels s’ajoutent celui administré par Adoma (2) et celui géré par l’ACSC (3). « C’est vraiment un centre provisoire d’accueil, d’urgence, de 3 à 4 mois en général », confirme Didier Mamis, directeur départemental de la DRDJSCS (4), le service qui lie les gestionnaires des CAO à la préfecture.
La situation varie dans les 450 CAO de France et de Paca, mais de nombreux collectifs de soutien et associations dénoncent un accompagnement insuffisant voire indigne. Virginie, travailleuse sociale dans un CAO à Marseille, témoigne : « Créés par une circulaire du ministère de l’Intérieur, ils ne font pas pourtant partie du code d’action sociale et des familles qui détermine les devoirs des salariés et les droits des personnes accueillies. » Les CAO sont des Centres d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) au rabais, professionnellement et financièrement. En théorie une fois de plus, l’accueil devrait être assuré en Cada après la demande déposée à l’Ofpra (5) lors du rendez-vous à la préfecture. Mais le manque de places est dramatique. En Paca, 400 demandeurs d’asile bénéficient d’un hébergement d’urgence pour 1200 en Cada. Ceux qui n’ont pas cette chance dépendent de la solidarité pour éviter d’être à la rue.
Expulsions à l’horizon
Une travailleuse sociale, anonyme, déplore un accompagnement humain passé au second plan par manque de temps et de moyens : « Notre rôle ne devrait pas être de servir les intérêts de la préfecture, mais de permettre aux personnes accueillies de s’ouvrir vers un autre monde, de leur faire rencontrer d’autres gens, de pouvoir parler français, d’avoir une vie, tout simplement. » A la DRDJSCS, l’approche est beaucoup plus pragmatique. « L’examen des dossiers relève du cas par cas, avec une certaine souplesse pour les personnes reçues depuis Calais, mais Dublin s’applique, c’est un règlement européen », explique Didier Mamis. Et Samir Lassouani d’affirmer que « pour les situations qui le nécessitent » la préfecture fait preuve de souplesse dans l’application de la procédure.
Dans les CAO de Marseille, les travailleurs sociaux ont récemment expliqué aux « dublinés » que la procédure serait levée pour 70 % d’entre eux, les incitant à ne pas participer aux manifestations pour exprimer leurs revendications menées par le très actif Collectif El Manba/Soutien Migrant-e-s 13. Pendant ce temps, plusieurs tribunaux administratifs ont jugé inhospitalieres la Bulgarie et la Hongrie, sur l’ancienne route des Balkans. Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle a dénoncé les conditions d’accueil en Grèce, principale porte d’entrée avec l’Italie, premier pays de destination des « dublinés ». Pourtant, la préfecture des Bouches-du-Rhône doit préciser en mars le sort des « dublinés » de Calais, tandis que, pour pallier la restructuration voire la fermeture des CAO, des Pradha (6) prendront le relais. Avec une différence majeure : ils seront habilités à assigner à résidence les demandeurs d’asile, procédure pouvant ensuite permettre leur expulsion.
1. Service d’accompagnement et de réinsertion des adultes. 2. Adoma est une entreprise d’insertion par le logement, premier opérateur national. 3. Association des cités du secours catholique. 4. Direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale. 5. Office français de protection des réfugiés et apatrides. 6. Programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile.
Thomas Desset
Enquête publiée dans le Ravi 149, mars 2017.