Ça ne gaze toujours pas !
Ce vendredi soir d’octobre à la salle polyvalente de Séguret, charmant village du nord Vaucluse perdu au milieu des vignes, le collectif « Auzon sans gaz de schiste » organise une réunion publique. Il se bat contre une demande de permis d’exploration déposée en novembre 2010 auprès du ministère des mines par la société suédoise Tethys Oil. C’est en juin dernier que les membres du collectif ont découvert le pot aux roses, lorsque Nicole Brick, l’ex-ministre de l’Ecologie, s’est décidée à rendre publiques les demandes de permis. Pas moins de 46 communes sont concernées par « le permis d’Auzon ». Depuis, le président François Hollande a prononcé, lors de la conférence énergétique en septembre, une sentence plutôt ferme sur la forme : « Les arguments économiques existent, mais soyons clairs, dans l’état actuel de nos connaissances, personne ne peut affirmer que l’exploitation par fracturation hydraulique (voir encadré) est exempte de risques lourds pour la santé et l’environnement, c’est pourquoi j’ai demandé à Delphine Batho de rejeter les sept permis. Telle sera ma position […] durant le quinquennat. »
Effet d’annonce
Sept permis sont rejetés, donc, dont ceux de Brignoles, qui couvraient les trois quarts du Var sur plus de 6000 km2, et celui de Gréoux-les-Bains. Ces rejets ont fait l’objet d’arrêtés ministériels publiés le 26 septembre. Mais Paca est toujours concernée par trois demandes de permis (Préalpes pour les Hautes-Alpes, Cavalon et Auzon pour le Vaucluse). Les militants anti gaz de schiste de Séguret n’ont pas intérêt à se démobiliser ! Reste aussi le permis de Gardanne (gaz de charbon), dans les Bouches-du-Rhône, qui a été accordé et doit faire l’objet d’un renouvellement à la fin du mois.
Sept demandes de permis rejetées… parmi 92 déposées en France, dont 48 concernant des « hydrocarbures de roche mère », incluant le gaz de schiste (voir encadré). Sans compter la soixantaine de permis déjà accordés. Bel effet d’annonce donc, voire d’entourloupe. Mais qui a fonctionné selon Pierre Arnoult, militant anti schiste dans le Var : « On perd effectivement des troupes et de la crédibilité. Pas au niveau des collectifs mais vis-à-vis des citoyens. Pourtant, les propos d’Hollande, ce sont de la désinformation. A l’entendre, la fracturation hydraulique est soi-disant interdite. Elle est en fait déguisée. »
Une loi vide de sens
Pour comprendre, il faut d’abord revenir sur la chronologie législative concernant la fracturation hydraulique. Après une forte mobilisation des opposants, le décret du 13 juillet 2011 interdit déjà « l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique […] ». Lors de l’examen du texte de loi au Sénat, le sénateur Claude Biwer (1), de la Meuse a défendu avec succès un amendement intégré dans l’article 4 de la loi. Il rend possible « la mise en œuvre d’expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique » contrôlée par une commission nationale « d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux ». Le gouvernement Hollande n’a pas dissous la commission. Il a même déjà nommé 6 membres sur ses 22. Seule la sémantique a vraiment changé : les compagnies peuvent maintenant demander des permis de recherche quand elles déposaient auparavant des permis d’exploration.
« C’est une loi scélérate », s’insurge Elisabelle Bourgue, présidente de l’association No fracking France, qui milite pour une interdiction de la fracturation. Elle ne définit pas ce qu’elle interdit. Si bien que les compagnies s’adonnent à du « rebranding ». On ne dit plus fracturation mais fissuration par exemple. C’est pourquoi cette loi est très fragile constitutionnellement. » Elle dénonce également le manque de moyens de l’Etat et de ses services déconcentrés, comme la Dreal, pour contrôler effectivement les pratiques des pétroliers. Ces derniers cherchent avant tout à brouiller les pistes en ne définissant pas clairement les méthodes d’extraction envisagées. Ils manœuvrent actuellement pour obtenir des permis de recherche pour cinq ans (renouvelables deux fois, donc 15 ans à l’arrivée) afin de poser leurs valises en espérant que la loi devienne ensuite plus clémente. « Il faut quand même signaler le plus important : les risques sanitaires de contamination par l’eau sont bel et bien réels (2), ce n’est pas juste le fantasme d’une flamme au robinet comme on peut le voir dans le film Gasland », continue Elisabelle Bourgue. La réforme du code minier, annoncée d’ici la fin de l’année, l’inquiète également. Elle pourrait introduire un intéressement financier pour les collectivités et les propriétaires concernés par les « recherches ». Une méthode qui a permis d’engager les forages aux Etats-Unis en les rendant plus acceptables…
Nouvelle loi en 2013 ?
Les élus écologistes demandent une loi interdisant définitivement l’exploration et l’exploitation de nouvelles ressources d’hydrocarbures non conventionnels. Le député Europe Ecologie – Les Verts de Gardanne (13), François-Michel Lambert, a présenté, en décembre 2012, une proposition de loi « visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, à abroger les permis exclusifs de recherche de mines d’hydrocarbures non conventionnels et à assurer plus de transparence dans le code minier ». Sa méthode ? Renouer avec l’esprit et le texte d’un projet de loi, levant toute ambiguïté, présenté par le groupe PS en 2011 et co-signé, à l’époque, par Jean-Marc Ayrault et Arnaud Montebourg. « C’est plus un besoin qu’une envie, souligne François-Michel Lambert. D’un côté, le président fait des déclarations, de l’autre on entend le ministre du Redressement productif dire qu’il faut réfléchir à la question. Et puis il y a cette commission, dont on s’interroge sur le rôle puisque la fracturation n’est plus censée être envisagée. Dans une logique de transition énergétique, avec des objectifs de réduction des gaz à effet de serre, ça n’a pas de sens de poursuivre la recherche d’énergies fossiles hors de prix. »
Le bras de fer entre les écolos, qui n’en sont pas à leur première couleuvre avalée, et les socialistes au pouvoir phagocytés par des lobbys comme l’Union française des industries pétrolières, s’annonce hasardeux. « Les lobbyistes, quand on les sort par la porte, ils reviennent par la fenêtre », commente Joël Giraud, député-maire PRG de L’Argentière-la-Bessée (05), qui a appris récemment par la presse l’existence d’une demande de permis de recherche, dénommé Préalpes. Tout dépendra, de fait, de la capacité des collectifs anti gaz de schiste à ne pas se démobiliser.
Clément Chassot
(1) Claude Biwer (Nouveau Centre) n’est pas n’importe qui. De son propre aveu, arraché par la présidente de No FrackingFrance, Elisabelle Bourgue, l’ancien sénateur de la Meuse (battu aux dernières élections) a « participé à l’entrée de Total en Russie ».
2 : No fracking France recense ici tous les rapports d’impacts de la fracturation sur la santé : http://nofrackingfrance.fr/frackcidents-2/sante-publique-2