Ça infuse chez les (ex) Fralib
Le logo Fralib est tombé du mur de l’usine et les slogans révolutionnaires ont été effacés. A Gemenos, 57 ouvriers (sur 182 salariés avant le conflit) se battent désormais pour créer leur entreprise. Du temps de Fralib, Marc Decugis s’occupait de la maintenance. La création de Scop ti lui a fait coiffer une deuxième casquette, celle de directeur : « Déjà, le matin, je commence par aller dire bonjour à tout le monde, ça fait partie du travail. Et le petit plus du directeur, c’est les réunions qui durent toute la journée. On se transforme en cul plat. » Comme les autres, il est passé de simple salarié à coopérateur, sorte d’actionnaire de l’économie sociale et solidaire. Marc apprend sur le tas et ne compte pas ses heures. « On n’a pas le choix, on s’est battus pour ça. »
Tout recréer de zéro
Il y a un peu moins d’un an, les Fralib faisaient plier la multinationale Unilever, propriétaire de l’usine. En échange de la délocalisation de la production en Belgique et en Pologne, la CGT négociait 19 millions d’euros pour relancer l’activité et 100 000 euros d’indemnités par salarié. Les machines avaient été rachetées par la communauté urbaine de Marseille, socialiste à l’époque. Il aura fallu trois ans de lutte, 4 plans sociaux, des dizaines de manifs et de nuits à l’usine.
Aujourd’hui, entre les assemblées générales pour décider des rémunérations et l’entretien de leur usine, les coopérateurs enchaînent les formations : comptabilité, électricité, recherche et développement… Il faut tout apprendre. Responsable qualité chez Unilever jusqu’en 2012, Nadine a pour mission (bénévole) de recréer le service à partir de zéro. Dans l’équipe, Xavier, ancien opérateur, qui n’a « aucune idée des caractéristiques du darjeeling ». « Il y a encore du travail avant qu’ils puissent voler de leurs propres ailes », admet Nadine.
Dans un coin, Marie-Noëlle range les théières qui ont servi à une dégustation. Bientôt à la retraite, elle pourrait se contenter, peinarde, de ses indemnités Pôle emploi. Mais pas question de lâcher les copains. Elle nous fait sentir les infusions qui seront peut-être les best-sellers de la future marque [cet article a été publié en mai 2015 dans le mensuel le Ravi, depuis le nom de la marque a été dévoilé : « 1336 » pour la production diffusée dans la grande distribution / « Scop TI » pour la production locale diffusée en circuit court et dans le réseau des magasins « bios »] de la coopérative. « Vous sentez ce mielleux ? » On a beau renifler, on n’a pas son nez expert. « C’est du tilleul des Baronnies. » Une production de la Drôme, récoltée à la main.
Du bio des Baronnies… et du Maghreb
Des infusions locales et bio… C’était le rêve des salariés pendant la lutte. Des liens se sont créés avec le syndicat du tilleul des Baronnies pour relancer la filière. Selon son président, Nicolas Chauvet, « un producteur de tilleul possède en moyenne une dizaine d’arbres ». Une seule semaine de récolte et une production de 10 tonnes. Pas de quoi alimenter une usine calibrée pour sortir 6000 tonnes d’infusions par an. Le tilleul des Baronnies ne sera au final utilisé que pour des productions « millésimes » limitées [Scop-TI].
« Pour notre marque [1336], on ira chercher des productions aromatiques de qualité au Portugal ou au Maghreb », explique Olivier Leberquier, leader CGT devenu PDG. Comme toute l’équipe de direction, il a délaissé le préfabriqué du syndicat pour s’installer dans l’open-space des administratifs. Surtout pas dans le bureau de l’ancien directeur qu’ils ont farouchement combattu. Le thé lui, viendra du Vietnam. Avec comme objectif un difficile équilibre : une production de qualité, à un prix accessible à tous et qui permette de faire vivre les travailleurs et leurs familles.
Mais comment s’assurer des conditions de travail de l’autre côté du globe ou de la Méditerranée ? « On travaille en direct avec les producteurs. On visite les exploitations, on regarde les gens travailler. Ces contacts, on les a eus par la fédération internationale des syndicats », explique Olivier Leberquier. La première année, la marque Scop ti représentera seulement 50 tonnes, sur les 200 que prévoient de produire les coopérateurs.
Arômes synthétiques… capitalistes
Car leur modèle économique se base sur la fourniture de thé et d’infusions pour les marques de distributeurs. Autrement dit, travailler des matières première venues de l’autre bout du monde et y ajouter des arômes synthétiques. Comme du temps de Fralib. « Notre lutte n’a pas fait tomber le système capitaliste. On aurait bien aimé, mais c’est comme ça », regrette Olivier Leberquier. Pour intégrer ce marché très fermé, les coopérateurs travaillent à l’obtention d’une certification spécifique et multiplient les contacts. Notamment lors d’un déjeuner organisé le 21 avril dernier à Bercy par le ministère de l’Economie, dont le menu était confié à des coopératives de toute la France. Entre deux services de boissons chaudes, Olivier Leberquier espère avoir fait une touche avec Carrefour…
Une chose est sûre, il faudra vite générer des revenus. 30 coopérateurs, dont les indemnités Pôle emploi arrivent à échéance, doivent être embauchés courant mai. L’objectif annoncé : proposer à la vente des produits de marque Scop ti dès le mois de septembre… « Pour l’instant c’est pas encore réel, explique Marc Decugis. Le jour où on verra nos boîtes dans les magasins, je vais pleurer. » A travers la fenêtre, un portrait du Che veille sur le nouveau combat des ex-Fralib devenus leurs propres patrons.
Margaïd Quioc
Cet article a été publié en mai 2015 dans le mensuel le Ravi, depuis le nom de la marque a été dévoilé : « 1336 » pour la production diffusée dans la grande distribution / « Scop TI » pour la production locale diffusée en circuit court et dans le réseau des magasins « bios ».
Les ex-Fralib de la SCOP-TI lancent un « Ulule » pour lancer leurs deux marques. [Pour y participer c’est par ici->http://fr.ulule.com/1336/]