Brouillon de culture
« Bon ben ça c’est la nouvelle gare de Mons », nous indique notre guide belge en désignant un trou béant sur lequel danse un ballet de bulldozers. Visiblement, à moins d’un an des festivités de Mons, capitale européenne de la culture en 2015, c’est autant la panique qu’à Marseille, en 2012, lorsque les terrasses du Vieux-Port offraient une vue imprenable sur les tractopelles. « Ne comparons pas ce qui n’est pas comparable », nous met en garde Yves Vasseur, commissaire (directeur) de Mons 2015 : une topographie différente, 93 000 habitants pour Mons contre 850 000 pour Marseille (sans compter ceux des autres villes qui étaient associées) et un budget opérationnel de 70 millions pour Mons 2015 contre 91 millions pour Marseille–Provence 2013. « Nous sommes venus plusieurs fois à Marseille, avant et pendant l’année capitale, et il est vrai que nos deux villes ont énormément échangé en amont, sur la gestion du budget, la communication ou la mise à contribution des citoyens par exemple », précise Yves Vasseur. 3 millions de dettes, une communication défaillante et les quartiers Nord laissés de côté : on est curieux de savoir quels bons conseils MP 2013 a pu leur donner ?
Si la candidature de Marseille 2013 a été retenue grâce à l’ouverture de la ville sur la Méditerranée, pour Mons c’est son atout « Silicon Valley » et sa maîtrise des nouvelles technologies qui ont séduit. « De toute façon, Mons était la seule ville belge à concourir pour le titre cette année-là ! », nuance Sylvain Pasqua, coordinateur des capitales européennes de la culture à la Commission européenne. En effet, la liste des pays dont les villes peuvent prétendre à ce titre se fait par rotation. Lorsque Mons a candidaté, Liège (120 000 habitants), une autre commune wallonne socialiste, elle aussi aurait aimé en faire autant. Mais elle a été empêchée par Elio Di Rupo, maire de Mons, premier ministre, et président du parti socialiste au moment de la candidature.
Un train de retard
Le projet phare de Mons 2015, qui ne tarit pas d’éloges sur le Mucem marseillais, c’est le Palais des congrès, mais aussi une nouvelle gare signée par l’architecte espagnol Santiago Calatrava. Le fameux trou béant, déjà décrit : de fait, le gros caillou dans la chaussure de Mons 2015 puisque la gare ne sera finalement pas prête avant 2018 ! Trois ans de retard dus à sept recours engagés – dont aucun n’a abouti – par une association de riverains qui voient en ce projet « mégalo » (150 millions d’euros) un « gaspillage des fonds publics ». Et 2018, ce sera dans le meilleur des cas ! L’architecte ibérique est plutôt connu pour ses malfaçons (pont glissant de Bilbao), ses délais repoussés et ses notes salées (six ans de retard pour la gare de Ground Zéro à New York et un budget doublé) qui lui ont valu de nombreux procès. L’artiste est aussi connu pour son évasion fiscale vers la Suisse en pleine crise espagnole. A coté de ça Rudy Ricciotti, l’architecte – et ses soucis judiciaires pour travail dissimulé dans le Var – passerait presque pour un enfant de chœur. Et son Mucem, au moins, a été livré en 2013 !
No we camp !
Mons Capitale, c’est aussi l’occasion pour la Belgique de récupérer ses transfuges. Le chorégraphe Frédéric Flamand qui, pour le coup, aura vécu les deux capitales européennes, d’abord en tant que directeur du Ballet national de Marseille, poste qu’il vient de quitter après neuf ans, pour se consacrer à Mons 2015 en tant qu’artiste associé. Un autre belge, Eric Pringles, fondateur du Off 2013, a eu moins de chance, puisque son Yes We Camp, a été remisé dans les cartons. « C’est mort ! Ils étaient intéressés par une nouvelle édition de notre camping alternatif et expérimental, mais ils ont eu peur de l’ampleur du projet, déplore-t-il. Une délégation monthaise est venue, fin 2013 à Marseille, sans pouvoir visiter le Yes We Camp à l’Estaque qui était déjà terminé. Mais des élus locaux leurs auraient fait des commentaires négatifs sur notre initiative concernant la propreté notamment. Et quand on sait que Mons est une ville de notaires… » Yves Vasseur remet plutôt en cause le terrain choisi par l’association qui, n’étant pas aux normes de sécurité, a selon lui empêché la labellisation du projet. « On aurait pu déployer nos forces, note Eric Pringles, mais la majeure partie de l’équipe est en France, tente de se structurer ici et travaille sur d’autres projets. Et puis y’a aussi la fatigue de l’expérience marseillaise… »
Si Mons 2015 se souhaite autant de succès que MP 2013, la commune wallonne semble aussi essayer de concurrencer la cité phocéenne en matière de règlements de compte. « Au cours d’un différend, l’un des protagonistes a sorti une arme à feu et l’a pointée en direction de son rival. Fort heureusement, l’arme s’est enrayée et aucun coup de feu n’a pu être tiré ! »(1). A la belge quoi…
Samantha Rouchard