Boues rouges : jusqu’ici tout va bien
Accordera, accordera pas ? L’enquête publique sur l’autorisation de rejets « liquides » en méditerranée par l’usine d’alumine Alteo, à Gardanne (13), a pris fin le 25 septembre dernier. Toutes les heures depuis 1966, 180 m3 de déchets bourrés de zinc, de plomb ou encore d’arsenic – les fameuses « boues rouges » – se déversent continuellement dans le canyon de Cassidaigne, au large de Cassis. Une zone en plein cœur du parc national des Calanques. Sommé d’en finir avant la fin de l’année avec ces rejets solides issus de la transformation de la bauxite, l’Etat doit maintenant se prononcer sur la légalité de rejet « liquides », de l’eau extraite de la boue grâce à des filtres-presses [cet article a été publié en octobre 2015 dans le Ravi. En décembre, malgré l’hostilité de Ségolène Royal, la ministre de l’environnement, l’Etat via le préfet de région s’apprêtait à autoriser pour 9 à 12 ans supplémentaires les rejets liquides d’Alteo dans les eaux du parc national des calanques]. Si l’attention est focalisée sur cet aspect, tout un pan du process industriel d’Alteo a été mis de côté de l’enquête publique : le stockage à terre de « boues rouges » déshydratées dans la décharge de Mange Garri à Bouc-Bel-Air. Tout est pourtant directement lié puisque de 180 000 tonnes par an aujourd’hui, ce sont 300 000 tonnes de « bauxaline », petit nom donné par l’industriel à ce déchet rouge, qui pourront être stockés sur cette colline utilisée comme décharge depuis 1905…
« Poison »
En février dernier, le Ravi décrivait déjà le ras-le-bol de certains riverains excédés par les poussières rouges venues de Mange Garri. Comme Abdellatif Khaldi, qui souffre d’un cancer du cœur et qui s’est vu diagnostiquer une tumeur au poumon cet été. Aucun lien avec l’entreposage des boues rouges n’est avéré mais lui, reste persuadé que les poussières volatiles de bauxaline sont ce qui l’« empoisonne ». Et s’interroge sur les quelques cas de cancer, notamment du sein, dans le voisinage. Alors qu’aucune enquête sanitaire n’avait été jusqu’à présent réalisée, l ‘Institut national de veille sanitaire, probablement sous pression de la ministre de l’écologie, mène une enquête épidémiologique depuis le mois de mai. Les conclusions ne seront pas connues avant la fin de l’année. Pour Eric Duchenne, le directeur des opérations d’Alteo, « toutes nos études montrent que ce produit n’est pas dangereux ». D’autres études, menées par des laboratoires indépendants fin 2014, démontrent pourtant la présence très anormalement élevée de composés chimiques toxiques. La Criirad (1) a également relevé une radioactivité 4 à 8 fois supérieure au milieu naturel local. « Il est facile de faire peur à tout le monde avec un compteur Geiger », se défend Eric Duchenne. Un rapport interne, daté de 2005, indique pourtant que la bauxaline ne pouvait pas passer les portails de détection radioactifs de la décharge d’Entressen…
L’information claire et indépendante se fait rare. Seul Yves Noack, chercheur au CNRS et directeur de l’Observatoire hommes-milieux du bassin minier de Provence, mène des recherches sur les particules fines dégagées par la décharge du Mange Garri. « Alteo n’est pas tenu de mesurer la quantité de PM 2,5, les particules fines les plus dangereuses. Dans cette zone, il n’y en a pas plus qu’en centre-ville sans épisode venteux notable. Mais c’est leur composition qui nous intéresse et c’est ce que nous sommes en train d’étudier. » Autre problème : le ruissellement d’eau de pluie chargée de métaux lourds. En février dernier, Alteo signifiait à la préfecture une résurgence d’eau dans le quartier du chemin de Valabre, où habite Abdellatif Khaldi. La mairie a pris parallèlement un arrêté pour interdire la consommation et l’arrosage de l’eau provenant de cette gigantesque nappe phréatique de 750 km2, parfois située à 70 cm sous les boues du Mange Garri. L’Etat s’en inquiète-t-il ? Ni la préfecture, ni l’agence de l’eau n’ont souhaité répondre au Ravi. Alteo, qui prône la « transparence », assure sur son site Internet qu’il n’y a aucun rejet d’eau dans le milieu naturel. Ce que conteste noir sur blanc la DREAL (2) dans un rapport de juillet 2015 suite à une inspection des lieux…
Communication
« Les responsabilités sont multiples. Incriminer seulement Alteo ne mène à rien », juge François-Michel Lambert (FML), député de Gardanne encore étiqueté écologiste jusqu’à cet été. L’élu, jugé trop conciliant avec Alteo par les militants associatifs, charge l’Etat mais aussi le maire (LR) de Bouc-Bel-Air, Richard Mallié, qui devant la pression du dossier se veut « plus écolo qu’écolo » mais qui a « accordé pendant 20 ans des permis de construire dans cette zone exposée ». En septembre, la mairie et Alteo ont signé une charte qui instaure deux comités de suivi, l’un pour les riverains, l’autre pour les habitants de Bouc-Bel-Air. « Le but est d’échanger, d’informer et de faire remonter des informations, explique Eric Duchenne d’Alteo. Oui c’est de la communication. Mais pour agir. » Abdellatif Khaldi souffle : « C’est toujours pareil avec eux et rien ne change. Ce n’est pas la première fois qu’ils tentent de nous "informer". Ils cherchent juste à gagner du temps. » Et dans cette histoire, le temps, c’est beaucoup d’argent.
Clément Chassot
1 : Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité.
2 : Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.