Bienvenue chez David « Reich-line »
Sans surprise, c’est en Paca que le FN fait sa rentrée. Et il a le vent en poupe. Ce matin-là (1), le Figaro promet pour 2017 un 21 avril bis, au point de voir les cadres d’extrême droite rêver de dissolution, de cohabitation, de ministère… Et quoi de mieux pour l’université d’été des jeunes frontistes, le FNJ, que Fréjus, devenue depuis l’élection du « bébé Le Pen », David Rachline (2), la station balnéaire varoise du Front ? Ici, les affiches du FN ne se font pas arracher. Notamment cette Marianne grisâtre assurant que le Front est déjà le « premier parti de France ».
Pas facile de trouver la réunion : elle se tient dans une petite salle confidentielle, juste derrière le blockhaus de la police municipale locale. Heureusement, pour se repérer, il y a les grappes de militants frontistes, costard sombre, cheveux ras et visage blême. Seules fantaisies : quelques bermudas, un nœud pap’ improbable. Et bien sûr, quoique plus discret, le logo « Fred Perry » : une marque « identitaire ».
Étonnamment, pas besoin de s’accréditer. Il suffit de produire une carte de presse. Et nous voilà affublés d’une superbe flamme tricolore avec la mention « Presse », histoire que le militant sache à qui il a affaire, un carré étant même réservé aux médias. Regards méfiants, sourires de circonstance, le jeune frontiste est même parfois taquin.
Soirée Néon splash
« On va bien réussir à les faire adhérer », dit l’un, en regardant le carré presse. « Attends, rétorque l’autre. On peut pas leur demander de mettre une flamme sur leur T-shirt et d’adhérer le même jour. Faut leur laisser un temps d’adaptation. » Un troisième, moqueur : « Tu crois qu’ils font partie des 13 % ? », s’interroge-t-il, une référence au dernier quarteron de sondés ayant encore confiance en François Hollande.
Finies les blagues, voilà les chefs. Et c’est Rachline qui ouvre le bal pour faire la promo de « l’implantation locale » du FN. Difficile car le vernis craque déjà. Comme au Pontet (3) et à Hayange en Moselle où le financement de la campagne municipale est au cœur des polémiques. Ou encore à Fréjus où les sujets ne manquent pas. Rachline préfère mettre en avant l’agrandissement du « musée des troupes de marine » (sic) ou la création d’une « brigade équestre » que la fermeture du centre social de la Villeneuve (lire encadré c_-dessous).
« On est en train de prouver qu’on peut faire mieux avec moins », martèle ce maire qui, pour réaliser un audit financier, a fait appel à une entreprise proche du Front, la Financière des territoires, dont les premiers achats auront été quelques manuels de base de comptabilité… De fait, au FN, on aime bien faire bosser les proches. Comme la Patrouille de l’Événement, organisatrice de toutes les festivités estivales à Fréjus. Et Rachline, ardent défenseur du « patrimoine », de faire la retape auprès des jeunes frontistes pour une « soirée organisée par la mairie », baptisée « Neon Splash », une soirée où la peinture remplace la mousse, le tout sur fond de techno dans des arènes pourtant classées…
Changer la vie
Et qu’importent les critiques : « Aux comités de vigilance, cette poignée de mauvais perdants de gauche, je dis qu’ils feraient mieux de surveiller la politique du gouvernement. » De toute manière, comme l’assène celui qui a été candidat aux européennes et qui lorgne sur les sénatoriales, « quand on s’engage en politique, c’est pour changer la vie des gens ».
Même son de cloche du côté de Julien Sanchez, maire FN de Beaucaire (83), et amateur de bons mots, en témoigne sa tribune sur les élèves allophones, intitulée « Non mais allô quoi ! » où il s’indigne des dépenses suscitées par l’accueil de 22 élèves ayant l’outrecuidance de ne pas savoir parler français… Grand pourfendeur du « gaspillage de l’argent public », lui aussi fustige les comités de vigilance : « Y a une espèce de folle qui, dès que je suis dans la rue, fait 300 photos de moi ! A croire que nos adversaires n’ont que ça à faire. On a dû donner un sens à leur vie ». D’où cette injonction paradoxale : « Montrez le vrai visage du FN. Celui de gens naturels, sincères, de bon sens… » Le même bon sens qui lui fait dire, face à la décision des organisateurs d’un festival de musique électro d’annuler la manifestation suite à son élection : « Ça a au moins permis d’éviter qu’on retrouve des seringues autour des arènes ». Rires gras…
Le multi-carte Steeve Briois (4) fait lui aussi dans le paradoxe. Détaillant les recettes d’une implantation réussie, le co-auteur du « petit guide pratique de l’élu municipal FN » explique aux jeunes militants : « Si on a réussi à terrasser le PS à Hénin-Beaumont – rendez-vous compte, c’est comme si le PS parvenait à s’emparer de Neuilly – c’est parce qu’on a fait des investigations. » Or, c’est précisément ce que font les comités de vigilance et les journalistes. Et c’est ce que ne supporte pas le FN.
Démonstration ? Il est 15 heures. Une grosse berline arrive. Jean-Marie Le Pen en descend. Les journalistes se précipitent à l’extérieur. Les militants aussi. Mais, en voyant le patriarche ânonner quelques banalités avant d’aller digérer au fond de la salle, on se résout à retourner à l’intérieur. Et de voir Marine Turchi, de Mediapart, se faire refouler par le service d’ordre, le DPS.
« Vous savez très bien pourquoi. On a reçu des consignes de la direction », crache le cerbère à notre consœur voulant savoir les raisons de son éviction alors qu’elle a pu assister sans encombre aux débats du matin. Nous suivons de près les deux membres du DPS qui l’escortent jusqu’à la sortie de l’université et qui, à plusieurs reprises, tentent de lui arracher son autocollant « presse ». Et, une fois les molosses repartis, nous décidons avec elle de boycotter la manifestation. Un boycott suivi que par la seule presse écrite durant un jour, le FN assumant, droit dans ses bottes, le fait de choisir les journalistes. En rentrant sur Marseille, dans l’autoradio, une vieille K7 des « Frères Misère », le premier groupe de Mano Solo : « Dans un pays d’extrême droite, on se torche avec les doigts / y a plus de journaux pour ça »…
1. L’université d’été du FNJ a eu lieu à Fréjus les 6 et 7 septembre.
2. Ce reportage a été réalisé avant l’élection au Sénat de David Rachline, désormais benjamin du Palais du Luxembourg.
3. Lire « Le FN au milieu du Pontet », Ravi n°121, septembre 2014.
4. Maire d’Hénin-Beaumont, il est aussi député européen et secrétaire général du FN.
Sébastien Boistel