Belles à croquer
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« Mais qu’est-ce que je fais là ! », le stress commence à monter pour Sara, 33 ans, poussée par une copine à s’inscrire au concours de Miss Curvy Paca qui se déroule en ce dimanche de novembre à Sainte-Maxime, dans le Var. Elles sont cinq participantes, sur la vingtaine intéressée au départ, à avoir finalement fait le déplacement des communes avoisinantes, de Marseille ou encore des Alpes- Maritimes. Elles ont entre 25 et 40 ans, mesurent entre 1m53 et 1m80 et ont pour seul point commun d’être rondes et de l’assumer pleinement. Aucune n’est aguerrie aux concours de beauté. Et pour cause, ces femmes ne ressemblent pas vraiment au standard dont la société et les publicistes aiment à nous mitrailler. Curvy signifie « pulpeuse » en français. « Il n’y a pas de critères d’âge, ni de taille, la seule condition c’est de s’habiller en 42 et plus », explique Marie-Claire Guerin qui, avec son association Belles en courbes, est à l’origine du concours Paca. La soixantaine rayonnante, grande, élancée, cette femme active, maximoise depuis quatre ans, s’est lancée dans l’aventure suite à l’élection de sa fille Jenny au titre de Miss Curvy Pays de la Loire. « Jenny a toujours été mal dans sa peau. Je l’ai vue en larmes dans les magasins car elle ne trouvait rien à sa taille. Les femmes fortes subissent une vraie discrimination, explique Marie-Claire Guerin. Mais grâce à ce concours, dont je n’avais jamais entendu parlé, ma fille a gagné en assurance, elle ose enfin se mettre en maillot de bain sur la plage. Et je trouve cela fabuleux. » En organisant un concours Paca, elle a bien conscience que la gagnante concourra contre sa propre fille le 20 janvier prochain pour le titre national. Elle sourit et assure : « Ça va être dur ! Mais il y a de la place pour tout le monde et nous aurons à cœur d’être derrière Miss Curvy Paca ! » Chacune des participantes est là avant tout pour défendre une autre image de la femme, et montrer que le bien-être ne se cache pas forcément dans une taille 36… EN FINIR AVEC LE 90-60-90 Son association est toute récente et Marie-Claire Guerin a eu à peine quelques semaines pour tout organiser. Cette première édition Paca se fera avec les moyens du bord. C’est donc Alain, son mari, qui est désigné aux platines, et malgré quelques faux départs, il s’en sort plutôt bien. « C’est une belle idée qui participe de l’air du temps : donner la parole et la représentation à toutes les femmes, dans un esprit d’égalité et de solidarité », explique-t-il. Pour le jury, notre Geneviève de Fontenay locale a demandé à des commerçants et des connaissances, pour lesquels c’est aussi une première. Anaïs, qui représente la lingerie Au Moulin Rose à Gémenos, est ravie d’être là : « Je trouve génial de montrer que l’on n’est pas obligée de faire un 90-60-90 pour être belle. C’est un peu mon travail au quotidien… » Marie-Claire Guerin briefe ses troupes qui doivent s’assurer de la réelle disponibilité des candidates en cas d’élection, que les maris sont vraiment au courant de leur participation pour éviter tout désistement, qu’elles sont bien informées des frais à leur charge pour le concours national, d’environ 300 euros, etc. Et l’organisatrice de conclure : « Regardez bien leur posture, leur attitude, c’est important, on n’est pas Miss pour rien ! » Les candidates devront expliciter leurs motivations et répondre à deux questions de culture générale. « Car ce n’est pas tout d’être belle en courbes, il faut aussi que notre Miss Curvy ait une tête bien faite. J’ai assisté à une élection où aucune des filles n’a su dire qui était Édouard Philippe ! », s’insurge miss Guerin. Dans les régions du Nord, les élections de miss rondes existent depuis des années et drainent un millier de personnes. À Sainte-Maxime, cet après-midi, ils sont une petite quinzaine, dont les familles et amis des participantes. DJ Alain ouvre le défilé sur un air latino. C’est Sara qui essuie les plâtres, d’abord en tenue de ville puis en robe du soir. Budget restreint oblige, chacune a du apporter ses vêtements, se maquiller et se coiffer. « Je suis noire, petite et ronde » « Je suis noire, petite et ronde », lance Sara au jury, non sans une pointe d’humour. Elle explique que si elle a mis du temps à assumer ses rondeurs, aujourd’hui elle en a fait des alliées. Sa passion c’est la danse et depuis plus d’un an elle enseigne la Booty Therapy, un mélange de danses afro-urbaines qui permet aux femmes d’assumer leur féminité et d’accepter leur corps tel qu’il est. Sara évoque aussi la grossophobie dont elle a pu souffrir à une époque et qui n’aide pas à se construire. Séverine a 40 ans, c’est sa fille qui l’a inscrite. « On m’a toujours dit qu’avec mes 1m80 j’avais un physique à faire Miss France sauf que je mets du 48 ! », ironise-t-elle. Sophie, cheveux courts et robe bleue, est venue en famille, son fils de cinq ans Raphaël la dévore des yeux à chaque passage. « Mes rondeurs ont un passé… », se confie la jeune femme, évoquant son long combat contre l’anorexie et sa joie de vivre retrouvée depuis qu’elle n’est plus en guerre contre son corps. « On m’a redonné le goût de manger et je suis redevenue moi », explique-t-elle. Madison, cheveux longs et robe en mousseline rose, est la plus jeune des participantes. Cette éducatrice pour enfants handicapés est passionnée de rugby : « Car quelque soit votre gabarit et votre caractère, sur le terrain il y a de la place pour tout le monde. » Madison a pesé 45 kilos de plus que son poids actuel, pour des raisons de santé elle a du se faire opérer. « En perdant mes kilos j’ai eu peur de perdre mon identité », explique-t-elle. Ses bras portent encore les stigmates d’une opération. « Ces cicatrices racontent aussi mon histoire… », confie-t-elle. Sandrine, 36 ans, de grands yeux bleus, est la dernière à passer et peut-être la moins à l’aise avec l’exercice. Elle se confie lors du shooting-photo : « Je trouve que ça manque de femmes comme nous dans le paysage. Ma démarche est altruiste et personnelle à la fois. Je n’ai plus grand-chose à me prouver, je m’assume, je me mets en maillot. Et si j’entends encore des filles chuchoter sur mon passage, ça ne me blesse plus, ça me donne envie au contraire de les provoquer encore plus. J’ai pris du poids suite à une agression, on appelle ça un poids de protection. Mais aujourd’hui je vis avec et je suis heureuse. Il ne faut pas être nostalgique de son corps passé mais vivre avec son corps du moment. » Regrettant un peu de ne pas avoir su dire tout cela face au jury, elle sourit en pensant à ce qui lui importe le plus, la présence de son compagnon : « J’ai senti de la fierté dans son regard, j’ai eu l’impression qu’il me redécouvrait. » C’est finalement Madison qui est élue Miss Curvy Paca, Séverine et Sara endossent l’écharpe de 1re et 2e dauphines. Rondes, grande, petite, noire… Pendant une année ces trois femmes fortes au sens propre comme au figuré, se feront les ambassadrices de la beauté en Paca… dans toute sa diversité ! Samantha Rouchard
#bodypositive Né aux États-Unis en 1996 à l’initiative de deux féministes, le mouvement « body positive » a pris de l’ampleur ces dernières années, notamment en France. Il consiste à adopter une attitude indulgente vis-à-vis de son corps, et à s’affirmer haut et fort dans sa différence. Les femmes rondes, pulpeuses, fortes, grosses… ne veulent plus se cacher. Sur la toile, on ne compte plus les bloggeuses modes et mannequins grandes tailles qui contribuent chaque jour un peu plus à changer le regard sur ce qu’est la norme, en posant notamment en sous-vêtements. Si elles essuient encore des commentaires insultants, elles ne désarment pas. Le but étant d’occuper tous les champs d’action qui leur paraissaient jusqu’ici hors de portée. Les danseuses américaines du Pretty Big Movement s’affichent en body moulants et leurs chorégraphies cartonnent. En France, la Booty Thérapie est aussi dans cette veine, que l’on ait trop de fesses ou pas assez, l’important c’est de danser, ensemble ! S. R. Reportage publié dans le Ravi n°157, daté décembre 2017