Bataille du rail au sommet
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Des façades d’hôtels décrépites témoignent d’une époque révolue pour le transport de passagers à la gare de Veynes. La petite ville des Hautes-Alpes fût l’épicentre de l’activité ferroviaire des Alpes du sud à la fin du XIXème siècle. La compagnie Paris Lyon Méditerranée y faisait rouler ses trains, depuis Lyon Perrache jusqu’à Marseille Saint-Charles via Grenoble et au départ de Valence ou Marseille jusqu’à Briançon. Mais l’âge d’or du rail a été enterré dans les années 1970 sur l’autel du développement routier. Le TGV a achevé de détourner le financement de ces liaisons. « Si tout ou partie de ces lignes ferment, c’est le scintillement de l’étoile ferroviaire qui faiblira », s’inquiète le Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes qui rassemble usagers et cheminots. Depuis 1972, la ligne des Alpes se résume à Grenoble-Gap. Et la voilà menacée !
Service dégradé
« A nous de leur faire préférer le train ! », clament 150 voix à 1014 mètres d’altitude. Ce 14 octobre, le collectif organise une manifestation à la gare de Lus-la-Croix-Haute. Quelques kilomètres plus haut, du col éponyme, où culmine la ligne, s’amorce la descente vers Grenoble. Au motif d’un déficit toujours plus abyssal, la SNCF envisage que plus aucun agent ne soit présent durant 6 à 8 mois de l’année à Lus. Ce qui poserait des problèmes de qualité de service et de sécurité selon le collectif. A terme, c’est la mise à mort de la ligne qu’il redoute. « Pour l’heure, aucune décision n’est prise concernant des évolutions sur l’organisation », rétorque par courriel la direction Auvergne-Rhône-Alpes de SNCF Réseau.
La voie unique ne permet aux trains que de se croiser en gare. Sans agent ici, la manœuvre ne sera plus possible. « La gare est à 25 minutes de Clelles et à 20 minutes d’Aspres, bientôt 25 minutes dû à un très bel entretien », ironise Franck Bastagneau, agent de circulation à Lus. On aura 50 minutes avec un train en liberté. Un temps de trajet qui s’ajoutera automatiquement aux retards. » Et un cadre de la SNCF de soupirer : « Un seul train qui a du retard le matin, c’est autant de minutes impactées sur l’ensemble. Sur les lignes à voie unique, ça fait boule de neige. » En une année, Lus a permis 22 reports de croisement, empêchant 15 heures de retards cumulés supplémentaires. Mais à cause du non-entretien de la voie, la durée du trajet s’allonge. « En 1973, les trains mettaient un peu moins de 2 heures pour faire Grenoble-Veynes », rapporte La Voix ferrée des Alpes, journal proche du collectif (1). Dès la fin 2017, il faudra compter 2h15 alors que 7 gares ont été fermées depuis 40 ans. « Des précédents qui ont détourné l’usager du train », affirme Philippe Tellier, secrétaire général CGT des retraités cheminots de Veynes.
Priorité à la route
Pour remettre sur les rails la ligne Grenoble-Gap, les collectivités et l’Etat devraient engager 50 millions d’euros. Fin juin, le Conseil départemental de l’Isère (38) a pris une délibération pour refuser de contribuer. Marcel Cannat (DVD), en charge des routes et des transports du « 05 » assume également de ne pas mettre au pot. « La situation financière du département se tend. En partie à cause de la gestion des mineurs non accompagnés, [migrants que le département doit prendre en charge (2), NDLR]. Désormais, nous allons nous concentrer uniquement sur nos compétences », avance le vice-président déplorant « le désengagement de l’État ».
La région Auvergne-Rhône-Alpes conditionne sa participation à celle des autres collectivités. Pourtant, son président, Laurent Wauquiez (LR), affirme dans une lettre du 10 octobre à l’étoile ferroviaire, « partager le diagnostic quant au défaut d’investissement […] depuis trop d’années et sur l’intérêt à apporter à la desserte du territoire ». Quant aux élus de Paca, ils restent muets (3). Il n’y a guère que la métropole de Grenoble qui se soucie activement de la ligne. « On a pensé le réseau du sud grenoblois avec le train comme armature. C’est un moyen plus rapide, moins coûteux et plus écologique », défend Yann Mongaburu, son vice-président (EELV) délégué aux transports. « Abandonner cette ligne, c’est aussi assigner un certain public à résidence », juge-t-il lors de sa présence au rassemblement de Lus. Et Bertille, usagère iséroise, de surenchérir : « Détruire ces petites lignes, c’est enlever un lien pour plein de gens qui n’ont pas de voiture. »
Marcel Cannat regrette « l’enclavement par le nord », des Hautes-Alpes avec l’abandon, en 2010, de l’A51 qui devait emprunter le col de Lus. Comme palliatif, l’État envisage une enveloppe de 200 millions d’euros pour les routes. « A aucun moment il ne nous a parlé d’engagement sur le ferroviaire », confie l’élu. 10 millions sont déjà prévus dans le cadre du contrat de plan État/Région sur la partie « 05 » de la RD1075, qui suit la voie ferrée. Côté Isère, le département a budgétisé 56 millions d’euros. Autre écueil à venir, l’exécutif régional de Paca veut accélérer le mouvement de privatisation des TER. L’assemblée régionale du 20 octobre autorise des appels d’offres « à blanc » auxquels pourront répondre SNCF et opérateurs privés, dans l’attente d’une loi ouvrant le marché. La bataille pour le service public du rail ne fait que commencer…
Pierre Isnard-Dupuy
1. lavoixferreedesalpes@orange.fr
2. Cf. le Ravi n°154, « [L’autre Roya solidaire des migrants->http://www.leravi.org/spip.php?article2865] ».
3. Philippe Tabarot, vice président LR en charge des transports de Paca, n’a pas donné suite à nos sollicitations. La région Auvergne-Rhône-Alpes et le département de l’Isère n’ont pas souhaité y répondre.
Enquête publiée dans le Ravi n°156, daté novembre 2017