Avignon à la rue avec les sans domicile
Dans le petit cirque électoral des municipales, tous les candidats ont des propositions en matière de logement. Certes la grande exclusion reste une compétence nationale, mais agir pour ceux qui n’ont pas de toit – qui généralement ne votent pas ou plus – est moins à l’ordre du jour. Et Avignon n’échappe pas à cette règle. Dans la capitale du département le plus paupérisé de la région Paca, la situation des sans-abri et l’offre d’hébergement sont tendues. Malgré les 280 places que compte l’agglomération, il y aurait selon Philippe Hillaire, éducateur spécialisé au sein du seul accueil de nuit de la ville géré par l’association HAS (Habitat alternatif social), encore une soixantaine de SDF sans solutions de logement tous les soirs.
« Cet accueil de nuit dispose d’une douzaine de places, explique-t-il. Trop peu. Nous avons malheureusement été obligés de constituer une liste des personnes les plus fragilisés pour essayer de les accrocher. Mais nous refusons du monde. » Depuis l’année dernière, l’accueil de nuit est ouvert également l’été, où les décès de sans domicile sont les plus nombreux. La direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), sous tutelle de la préfecture, a plus que doublé les crédits alloués à HAS mais cela ne suffira pas à boucler le budget selon le directeur départemental de l’association, Renaud Dramais. Le pire étant que la structure accueille de plus en plus de monde. 600 l’hiver dernier.
Juste à côté de ce local « trône » la Villa Médicis, qui n’a de villa que le nom. A deux pas de la gare, ce Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de stabilisation accueille de manière inconditionnelle (1) une dizaine de personnes dans des préfabriqués. C’est l’association CASA (2), créée par des sans-abri en 2001, qui obtient ces locaux en 2003. « Ce qui devait être du provisoire dure finalement depuis 10 ans, s’indigne Renaud Dramais, un des historiques de CASA. Mais les conditions de vie se sont un peu améliorées : aujourd’hui 10 personnes vivent ici, chacun a sa chambre. 14 autres personnes relèvent de ce qu’on appelle le CHRS diffus, c’est-à-dire qu’un appartement leur a été mis à disposition en partenariat avec des bailleurs sociaux. »
« La misère, c’est l’affaire de tous »
Pour oublier le provisoire, CASA, puis aujourd’hui HAS, cherchent des solutions de repli durables. Le projet le plus avancé est d’investir l’ancien centre de tri postal, propriété de Réseau ferré de France, qui surplombe les préfabriqués. Une friche industrielle qui s’étend sur trois étages et 2 200 m2, abandonnée depuis plus de 10 ans. L’idée est de pérenniser l’existant mais aussi d’élargir l’offre pour en faire un lieu de mixité : habitats partagés, résidence d’artistes, restauration, bureaux associatifs. Avec un financement partagé entre plusieurs collectivités, le lieu ne devrait toutefois pas voir le jour avant plusieurs années.
Et en attendant ? Même « s’il manquera toujours des places », Gérard Debrée, le directeur départemental de la DDCS, veut relativiser. « Nous avons créé 35 places de CHRS diffus depuis fin 2012. Nous travaillons plus sur ce genre de dispositif que sur de nouveaux centres en dur, dépassés. L’important aujourd’hui est d’accompagner, plus seulement de mettre à l’abri. » Concernant le 115, qui selon les associations est parfois saturé dès 9h du matin, il reconnaît quelques dysfonctionnements, selon les jours… Mais assure que le centre d’appels a été renforcé.
Au-delà de l’action de l’État, qu’attendre des politiques locaux ? « Il y a un gros besoin au niveau de l’aide alimentaire, pointe Renaud Dramais. Il y a aussi la question de l’hygiène : il n’y a plus de douches publiques depuis leur fermeture par la mairie à l’été 2012… Mais la misère, c’est l’affaire de tous. Les SDF, ce qu’ils veulent, c’est de la dignité, un droit de cité, ne plus être stigmatisés. » En témoigne la levée de boucliers, en 2010, d’un collectif d’habitants du quartier avignonnais Capdevila. En partenariat avec la mairie, CASA avait la possibilité d’y installer enfin un lieu d’accueil pérenne. Tout était ficelé. Mais des recours en justice ont fait, pour l’instant, capoter le projet. Interrogé, un des commerçants du quartier lâche « ne pas vouloir de drogués et de toxicomanes dans le coin »…
Cette pression des riverains et des commerçants n’est pas sans conséquence. Du côté de l’équipe de campagne du candidat UMP Bernard Chaussegros, on assure qu’un nouveau centre d’hébergement financé par la mairie serait construit, mais loin du centre-ville. Et l’arrêté anti-mendicité serait « réellement appliqué »… De quoi nettoyer l’intra-muros. Au FN, le candidat Philippe Lottiaux refuse de faire de la ville un « produit d’appel (sic) » en termes d’accueil des SDF. Mais il milite pour un espace d’insertion unique pour harmoniser tous les dispositifs en place. Enfin au Front de gauche, André Castelli promet de rouvrir les douches et de faire pression sur les services de l’État pour améliorer l’existant. (3)
Assis sur un banc, place Pie, avec ses deux chiens et son caddie plein à craquer, Zak, 33 ans dont 17 ans de rue qui l’ont marqué physiquement, reste humble : « les politiques ? Ils pourraient limiter la circulation, cela bousille cette jolie ville. Laisser aussi aux gens beaucoup plus de libertés culturelles par exemple. Puis faire de notre société quelque chose de beaucoup moins capitaliste… » Avant d’assurer : « la rue, c’est dur mais je ne me laisserai pas faire. »
Clément Chassot