Aux Izards, dialogue et mise en réseau
La crainte de voir les enfants, notamment les garçons, basculer dans « les réseaux de délinquance ». C’est cela qui, en 2013, a conduit trois femmes du quartier toulousain des Izards à créer l’association Izards Attitude. Presque quatre ans plus tard, Yamina Aïssa Abdi, présidente, revendique une « quarantaine de familles adhérentes » sur le quartier. Elle reçoit dans une salle au rez-de-chaussée d’un espace municipal où l’association tient sa permanence deux après-midi par semaine. « Nous sommes ouvertes à tous mais la plupart des personnes investies sont des femmes, des mères », constate-t-elle.
Eviter les décrochages des jeunes
Situé au nord de la ville, les Izards comptent un peu moins de 6000 habitants. Malgré cette taille modeste, le quartier, soumis à un programme de rénovation urbaine depuis 2012, est un lieu important du trafic de stupéfiants sur Toulouse. Et connu pour avoir vu grandir Mohamed Merah, auteur des attentats de mars 2012. « C’est un petit quartier mais il est dur, difficile, beaucoup de halls d’immeubles sont squattés par les réseaux, beaucoup de jeunes sont sans emploi », résume Yamina qui s’échine avec son association à y créer des espaces de rencontre, d’échange et de dialogue. « Les habitants on ne les voit pas, ou en tout cas, on voit toujours les mêmes, déplore-t-elle. Pour y remédier, dès la première année, nous avons mené beaucoup d’animations sur le terrain et noué des liens avec un maximum de partenaires institutionnels et associatifs. Depuis, nous nous concentrons sur le devenir des jeunes qui reste notre principale préoccupation. On mène un travail sur le décrochage scolaire avec les institutions. » Un groupe de parole a été mis en place et tout est fait pour « consolider la relation parents/ados ».
Les femmes d’Izards Attitude sont aussi en lien avec celles du quartier du Petit Bard de Montpellier, en lutte pour la mixité sociale à l’école. Et en septembre dernier, une dizaine d’entre elles sont montées en région parisienne pour y rencontrer des militants des quartiers : l’activiste Zouina Medour au Blanc Mesnil et des habitants de la cité des Franc-Moisins à Saint-Denis. Un micro-projet financé par la Fondation Abbé Pierre (Fap).
A l’origine de toutes ces connexions, le Tactikollectif, acteur historique des quartiers toulousains (Zebda, liste Motivés de 2001…). « On a sollicité la Fap il y a quatre ans quand on a décidé de se remobiliser sur le quartier », explique Salah Amokrane (1), coordinateur. Les liens ne sont pas nouveaux : la Fap avait déjà soutenu le Forum social des quartiers populaires (FSQP), cofondé par le Tactikollectif, le MIB et Unis-cités, à sa création en 2007. « Sur le quartier, on soutient les initiatives des habitants, sous forme associative ou pas, résume Salah : il y a Izards Attitude mais aussi une association de jeunes en 2013/2014 qui, à cause des tensions, n’a pas pu durer plus de deux ans. Aujourd’hui, on accompagne un projet de club de boxe. On est présent, on échange avec les habitants lors des événements culturels que nous organisons. L’idée, c’est de mettre en relation tous les acteurs entre eux et de permettre la mise en rapport avec les institutions. »
Méfaits de la rénovation urbaine
Ce rapport avec la Caf, les centres sociaux ou accueil-jeunes est un enjeu d’autant plus crucial que les Izards compte peu de lieux de sociabilité. La place des Faons, au cœur du quartier, seul espace extérieur ouvert, avec des bancs et un peu de verdure, est voué à être occupé à terme par des barres d’habitation. « Socialement, la rénovation, ça a été plutôt négatif, considère Yamina. Les gens ont été relogés partout, les liens ont été disloqués. Les chibaniettes, par exemple, ne se voient plus trop parce que beaucoup des nouveaux bâtiments sont équipés de digicodes, qu’elles ne retiennent pas. »
Les femmes d’Izards Attitude ont longuement pu évoquer les méfaits de la rénovation urbaine, en septembre dernier avec leurs homologues des Francs-Moisins, soumis au même processus. Des rencontres, des mutualisations d’expérience que, tout comme les projets sur le quartier, Yamina voudrait pouvoir développer. Totalement bénévole et ayant fonctionné « avec 1900 € de budget en 2016 », Izards Attitude souhaite un local autonome et la création de « un ou deux postes de salariés » pour renforcer son activité. Ce qui pourrait se faire en partie dans l’année avec le soutien de la Fap. C’est tout le mal que leur souhaite Salah Amokrane : « On est dans un esprit d’autonomisation des structures. Pour que tous les acteurs du quartier soient de plus en plus responsables et responsabilisés sur leurs propres projets. »
Emmanuel Riondé
1. Salah Amokrane est candidat aux législatives à Toulouse, soutenu par les Verts et les hamonistes du PS.
Article publié dans un supplément « très spécial » inséré dans le Ravi n°152, daté juin 2017