Auchan… à la ville
« C’est complètement fou d’aller s’enfermer sous de la taule pour faire ses courses, surtout ici, en Provence, où il fait tout le temps beau », s’exclame Pierre Harnois, président de Cavaillon Action Commerce, l’association qui a enfin réussi à fédérer tous les commerçants de la capitale du melon. Et pourtant, ces terres de Vaucluse affichent des statistiques impressionnantes : le rapport entre le nombre d’habitants et la surface de zones commerciales est de 1466 m² pour 1000 habitants. « C’est un record en France et même en Europe », soutient Sonia Strapélias, présidente de l’Union des commerçants et artisans de Vaucluse (Ucav). Elle ne cache pas sa satisfaction devant la décision, du 4 juin dernier, de la Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac) de retoquer le projet d’agrandissement de la zone d’Auchan sur la commune du Pontet – une extension de 6905 m² qui allait porter l’ensemble de la surface commerciale à 38 085 m². « Nous ne sommes pas contre la grande distribution en soi mais il faut un équilibre qui n’existe plus », ajoute celle qui veut défendre les commerces du centre ville, car, argumente-t-elle, « pour un emploi en grande surface, ce sont cinq emplois détruits dans les commerces de proximité ».
Seuil de saturation
Longtemps soutenu par les collectivités locales qui y voyaient une source de croissance économique pour leurs territoires, le développement des zones commerciales semble être désormais appréhendé avec plus de vigilance. Déjà au milieu des années 2000, la CCI de Vaucluse avait fait état « d’un équilibre commercial en danger » (Cf le Ravi novembre 2008). A Carpentras, le député UMP Julien Aubert, auditionné par la Cnac, se félicite du rejet du projet d’un ensemble commercial de plus de 20 000 m² dans le quartier des Croisières. « Nous sommes arrivés à un seuil de saturation sur les grandes surfaces commerciales, la corde est usée, commente Julien Aubert. Il va falloir faire un choix entre un modèle à l’américaine, avec des hypermarchés en périphérie et seulement des boutiques de souvenirs dans les centres ville, ou redonner à ces derniers un tissu commercial riche. »
A la jonction entre le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, à Plan d’Orgon, un autre projet de supermarché a capoté, avec l’opposition de collectifs comme la Confédération paysanne et celle du député-maire UMP de Cavaillon, qui campe juste de l’autre côté de la Durance. Pourtant, dans sa propre commune, des inquiétudes s’expriment sur le déplacement d’une zone commerciale d’Auchan sur 44 ha de terres rachetées par la filiale immobilière du groupe, Immochan. « S’il doit y avoir transfert, cela se fera au m² près. C’était une promesse de campagne », martèle le chef de cabinet de Jean-Claude Bouchet. « Un mensonge » selon Olivier Florens, conseiller général EELV du Vaucluse et candidat déçu des dernières municipales à Cavaillon, qui croit peu crédible que l’enseigne de grande distribution ne profite pas de la surface de surcroît dont elle disposerait. « Admettons qu’Auchan reste à la même taille, il installera d’autres magasins qui appartiennent à son groupe », renchérit-il.
Des champs, pas Auchan
Le transfert de l’hypermarché reste cependant conditionné à l’aboutissement du chantier d’un nouveau pont sur la Durance, prévu fin 2015, et à la construction d’une digue de protection contre les crues, notamment dans le quartier de la Voguette, là où Immochan a acheté les terres de son éventuel futur centre commercial. « Une zone agricole irrigable qui ouvre la porte sur 100 ha supplémentaires », s’insurge Nicole Hullein, du collectif de citoyens baptisé du nom de ce quartier, qui constate avec amertume que beaucoup de ces terres sont en friche.
« La spéculation foncière est le souci du Vaucluse », regrette Annie Villa, secrétaire de la Confédération paysanne 84, qui lutte au niveau national contre la bétonnisation des terres agricoles (Cf Campagnes solidaires, n°296, juin 2014). « C’est bien une politique foncière que mène le groupe Immochan », considère Sonia Strapelias de l’Ucav, « et une volonté de construire de véritables villes et de déplacer les centres d’intérêts », faisant allusion au projet Vilogia du Pontet, soit 850 logements et 9000 m² de bureaux, qui reste, lui, d’actualité. « Les logements sont une bonne chose », considère Florian Borba Da Costa, adjoint au commerce de la municipalité d’Avignon. Auchan, de son côté, ne communique pas à ce sujet. En revanche, le groupe évoque un recours pour ses 26 cellules commerciales. « De l’esbrouffe », pour Sonia Strapelias. Dans le sud Vaucluse, les commerçants se veulent confiants. « Le modèle des grandes surfaces est appelé à s’épuiser », estime Pierre Harnois, de Cavaillon Action Commerce. Il faut se battre en proposant des bons produits et de nouveaux services. »
Anne-Claire Veluire