Au Nord, un hôpital en souffrance
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Un gigantesque bloc de bitume couché dans les quartiers nord marseillais, et d’immenses fissures noires qui parcourent un bâtiment vieux de 53 ans. Mais les salles de l’hôpital Nord, accueillant près de 900 lits, souffrent d’un mal incurable plus redoutable encore que le temps qui passe : les coupes budgétaires ! L’AP-HM (Assistance publique-hôpitaux de Marseille), structure regroupant la Timone 1 et 2, la Conception et l’hôpital Nord, a dû agir en conséquence pour cet hôpital qui représente 30 % de son activité. « On doit penser les établissements de l’AP-HM comme un tout en prenant en compte un maillage territorial » soutient Magali Guerder, directrice de l’hôpital Nord en justifiant le déplacement de nombreux services, comme le dentaire ou l’ophtalmologie, vers d’autres pôles de l’AP-HM. « La concurrence féroce [du privé] oblige à la performance. Il nous faut donc rethématiser l’hôpital », poursuit la fonctionnaire tout en faisant valoir le rôle de spécialisation de l’hôpital Nord dans des opérations comme celle de greffe hépatique.
Hémorragies de services
Mais de restrictions en spécialisations, l’hôpital tend à perdre son rôle de proximité. Pourtant les besoins sont importants avec 26 % des patients qui viennent encore des quartiers voisins de l’établissement. Depuis 5 ans, l’hôpital Nord s’est vu amputé de services et de personnels. A titre d’exemple, de 2015 à 2017, il a perdu 223 postes pour un personnel, médical et non-médical, de plus de 3 500 personnes. Et la liste des disparus est longue : « les services dentaires, l’ORL (nez, gorge, oreille), l’endocrinologie, le diabète [reste une petite antenne], le bâtiment des maladies tropicales, infectieuses… Les services de chirurgie pédiatrique et de médecine pédiatrique ont été fusionnés, on a perdu 25 lits d’hospitalisation… », déplore Pascale Jourdan, secrétaire générale CGT de l’établissement. De même, « les lits de réanimation pédiatrique risquent d’être mis à la Timone pour mieux prendre en charge les petits enfants », nous apprend la direction. Or, un arrondissement comme le 16ème affiche la surmortalité la plus élevée de la commune (+ 40 %), selon une étude de l’Atelier santé ville Marseille nord. A Kalliste (15ème), un centre de réanimation pédiatrique existe mais n’accueille… que de jour !
Une euthanasie programmée pour la CGT qui n’hésite pas à parler de « démantèlement » en redoutant la fin tragi-comique de l’hôpital Hôtel-Dieu reconverti, en 2013, en hôtel 5 étoiles. A l’hôpital Nord, infirmiers et aide-soignants sont débordés, surtout aux urgences qui enregistrent 95 000 passages par an. Anonymement, ils confient un quotidien éreintant où l’heure est au rendement. « Hier j’avais quelqu’un qui me disait qu’il voulait mourir. Bah ! J’ai pas le temps pour faire la conversation. Les gens ont pourtant besoin qu’on leur parle : il n’y a pas que le physique qui est important », explique l’une d’entre elles au bord des larmes. Au bout de seulement 5 ans de service, elle songe déjà à partir.
Stratégies de survie
Depuis deux années, infirmiers et aide-soignants, qui fonctionnaient alors en binômes, doivent effectuer les mêmes tâches seuls. S’ajoute le manque de moyens. « Comment vous faites pour contrôler la tension des patients la nuit sans matériel ? Vous en achetez vous-mêmes. C’est le système D ici. Les infirmières descendent aux urgences leur demander du matériel ! », raconte une autre. « Le week-end, c’est du troc. Il y a même une infirmière qui organise des échanges de matériel entre les étages. Des couches contre de la ventoline ! », soutient-t-elle avec un rire jaune. Avant d’ajouter plus sobrement : « L’hiver dernier on n’avait plus de draps, rien ! J’ai accompagné une femme en fin de vie, j’ai dû lui mettre une couverture de survie. Elle est morte dedans… »
Un quotidien frénétique qui débouche sur l’un des plus hauts taux d’absentéisme : 11,37 %, là où le niveau national tourne autour de 8 % en 2016 (données des bilans sociaux des établissements, via Hospi Diag). Pour y remédier, l’hôpital a fait appel à Medica Europe, une société de sous-traitance chargée de vérifier la validité des absences. « Ils sont même allés jusqu’à contrôler une femme enceinte » affirme une aide-soignante. Autant de faits et de propos qui surprennent la direction. « J’invite cette personne comme toutes les autres à se manifester », rétorque Magali Guerder. Mais la confiance entre l’administration et le personnel semble dégradée. « Si on se plaint, on risque d’obtenir une mauvaise note à la fin de l’année et voir notre salaire stagner », redoute une infirmière.
Alors qu’un Marseillais sur deux vit au nord, on y compte une cinquantaine de spécialistes pour 100 000 habitants contre 204 en moyenne pour la ville. Et ceci dans des quartiers populaires où le refus de soin concerne 27 % de la population, en raison du prix mais aussi de la distance géographique. Au même moment, le privé, lui, accouche de nouveaux nés. Alors que le service d’ophtalmologie disparaît, a été inauguré en 2016 au sud la clinique Monticelli-Vélodrome affublée du titre rêveur de « paradis d’ophtalmologie ». Autre territoire, autre ambiance : « Ici, vous n’êtes plus patients, ni clients, vous êtes de la patientèle », crache de colère une aide-soignante au bord du burn-out, rappelant le vocabulaire cynique des hôpitaux. « J’ai demandé à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de se rendre à l’hôpital Nord pour faire remonter les informations et évaluer la situation », assure Saïd Ahamada, le député (LREM) de la circonscription. Mais avec une dette de 1,23 milliards d’euros, et un déficit de 450 millions, à l’AP-HM, pas sûr qu’on trouve le remède au mal de sitôt…
Valentin Pacaud
Enquête publiée dans le Ravi n°156, daté novembre 2017