Au fond du Front
C’était mieux avant : celui qui porte cette rengaine, c’est André Troise, un des « cofondateurs » du FN. Qui, en marge de l’université d’été du parti, à Marseille, ne supporte plus les « mignons » qui y ont pris le pouvoir. Ancien de l’OAS, son rêve s’appelle « FNL » : la « Force Nationale Lepéniste ». Quoique prêt à voter « Marion », des « listes dissidentes » seraient, d’après lui, déjà constituées. Et, face aux migrants, il est prêt à « reprendre du service » !
Son héraut, Jean-Marie Le Pen, fraîchement exclu du parti qu’il a créé, vient d’arriver. « Déjeuner-débat », ce 5 septembre, sur les terres du sénateur-maire frontiste marseillais Stéphane Ravier où le « patriarche », ayant passé l’âge de mener une liste dissidente, en appelle à « l’unité » tout en annonçant la création du « Rassemblement bleu blanc rouge ». Pas de quoi enthousiasmer ses soutiens : du vieux frontiste, des militants de la Ligue du Midi, du Parti de la France, des anciens du DPS (le service d’ordre) pour qui le « FN est devenu un parti national-socialiste » (sic). Et même, outre un fils Bompard, un élu de Cogolin dénonçant « une dérive à gauche : le FN aujourd’hui, c’est le RPR des années 90 ». (1)
Le Front aurait-il à ce point muté qu’il souffrirait, comme l’« herpès » (LR-PS, le nouveau nom de « l’UMPS ») de querelles intestines ? Ce qui est sûr, c’est que son visage a changé. Au parc Chanot où se déroule l’université d’été, pas de skins à l’entrée mais des bambins avec des nounours bleu blanc rouge. Même le DPS, pour fouiller les sacs, use désormais de baguettes ! Alors, quand Marine Le Pen est interrogée sur son père, elle soupire : « Vous écrivez un feuilleton que vous êtes les seuls à regarder ! »
Au Front, on préfère mettre en avant les collectifs et autres « comités d’actions programmatiques : vous pouvez nous rédiger une note dans votre domaine qui alimentera le programme de Marine », s’enthousiasme Nicole, une infirmière lyonnaise. Au FN, on prône donc le « collaboratif » ! Et au FNJ, on se la joue propre sur soi. Succédant à Julien Rochedy, qui ne supportait plus les « petits mecs » autour de Florian Philippot (le n°2 du FN), Gaëtan Dussausaye aime parler de « formation », des « journées de cohésion ». Et même de la « vie démocratique » du parti !
Mais au Front, le fond n’a pas changé. Sur la table du FNJ, une affiche tricolore : « Je rêve d’une France… française. » Confirmation avec Gaëtan Guerrero, jeune flic qui seconde Valérie Laupies sur Tarascon (13), lorsqu’on l’interroge sur le « pluralisme » idéologique au FN : « Entre les gaullistes et les pieds-noirs, les discussions sont animées. Mais on se retrouve sur l’essentiel : le côté patriote. » Et ce fils de « réfugié espagnol », en évoquant les migrants, de lâcher : « Est-ce qu’on est fait pour vivre ensemble ? »
Ravier est le premier à l’avouer : « D’un point de vue idéologique, le FN n’a pas vraiment évolué. » Dont acte avec les discours très « tradi » de Marine, Marion mais aussi de Florian Philippot. Au point de surprendre un vieux militant : « Jean-Marie Le Pen aurait pu prononcer le discours de Philippot. C’est très inhabituel. Mais, avec l’exclusion du père, il y a une place à prendre. Et, dans cet épisode, il s’est exposé. Il doit donc donner des gages. »
Comme nous le dit Gilbert Collard : « Ce serait mentir de ne pas reconnaître qu’on est dans une région assez sensible au discours d’un Jean-Marie Le Pen. » Mais l’avocat plaide pour un droit d’inventaire : « Marchais se félicitant de voir rasé un foyer Sonacotra, ça fait aussi partie de l’histoire du PC. » De fait, comme l’analyse Gauthier Bouchet (le fils de Christian, figure de l’extrême droite hexagonale), « au FN, il y a au moins une demi-douzaine de courants ! » Pour Ravier, on n’a affaire qu’à une « crise de croissance ». Et pour un comptable du FN, « cela me fait penser à un vieux patron qui cède sa PME à ses enfants mais qui ne supporte pas de ne plus avoir le contrôle ».
Le FN, une histoire de famille ? Au vu des enquêtes sur le financement du FN, et en particulier sur le rôle des micro-partis de Jean-Marie et de Marine Le Pen (Cotelec pour l’un, Jeanne pour l’autre), comment en douter ? Et comment ne pas tiquer face à l’affrontement entre un grand-père et sa fille, avec, entre les deux, la petite-fille ?
De fait, s’il se nourrit de la crise des autres partis, le Front est de plus en plus comme ceux qu’il dénonce. En restant toujours aussi singulier. En témoigne, au-delà des transfuges, la persistance du « casting ». Pour les régionales, dans le « 13 », c’est Ravier qui sera tête de liste. Sauf qu’avec la loi sur le cumul des mandats, le sénateur-maire devra en lâcher un. Lequel ? « Joker ! En tout cas, pas question de lâcher la mairie. » Pourtant, il n’y a que peu de pouvoir. Mais, après y avoir goûté, difficile de s’en passer. Même quand on est « anti-système »…
Les fondamentaux sont toujours là. Comme l’exprime le sénateur-maire de Fréjus (83), David Rachline, face au ralliement de l’ancien identitaire niçois Philippe Vardon, condamné pour « incitation à la haine raciale » : « Il vaut mieux ça qu’être condamné pour corruption. »
Sébastien Boistel
1. Conseiller régional exclu du FN, Laurent Comas n’exclue toujours pas de lancer une liste « dissidente » si Marion Maréchal (nous voilà)-Le Pen n’accepte pas des « lieutenants » de Jean-Marie Le Pen sur sa liste.