Véolia connexion

mai 2007

Depuis 1864, l’ancienne Compagnie générale des eaux (CGE) ne cesse de se développer en Paca. Au point que Nice et Toulon lui sont presque entièrement vendues. Marseille pourrait devenir la troisième « Véolia ville » de la région. Une omniprésence qui ne va pas de pair avec la transparence. « J’aimerais savoir pourquoi le sigle de Véolia est apposé sur les camions-poubelles du 3e arrondissement ou sur les navettes du Frioul, mais pas sur le tramway ? » La question de Jean-Marc Lafon, secrétaire général du syndicat CGT de la Régie des Transports Marseillais, indigne presque Dominique Ciotti. « Nous préférons simplement garder les identités locales », jure la chargée de la communication de la délégation régionale de Véolia Environnement. Et c’est compréhensible… Si tous ses réseaux de transport (Trans Var, Ciotat Bus, Bus Azur, Frioul Express…), toutes ses filiales de distribution d’eau ou d’assainissement (Société des Eaux de Marseille, Sonitherm, OTV, Sade, Sud Est Assainissement…), de collecte, de stockage et d’incinération des ordures (Silim Environnement, Valsud, La Méditerranéenne, Tiru, GHB, Onyx, SARP …) et de gestion et distribution d’énergie et de chauffage urbain et collectif (Clemessy, Citélum, Crystal, SRPG, Valenerg…) s’affichaient ouvertement aux couleurs du groupe, Paca aurait un drôle de visage ! Probablement celui de la dernière campagne de pub de la multinationale, qui montre ses employés envahir une ville sous prétexte que « l’environnement est un défi industriel » (sic). Si Véolia est finalement moins pudique que sa chargée de communication ne l’affirme, elle est en tout cas très secrète. Malgré nos coups de fils répétés à la maison mère, à sa délégation de Paca et aux sièges régionaux de ses différentes branches, l’unique donnée fournie sur sa présence en Paca est son nombre d’employés : 8 268. Et ses documents officiels (rapports financiers) sont tout aussi peu bavards sur le sujet : ils permettent d’identifier les filiales du groupe (toutes ?), mais ne fournissent pas leurs implantations locales. Il faut donc recouper. Concernant les revenus régionaux de la multinationale, le problème est identique. Ses dirigeants sont comme tous les Français : ils n’aiment pas parler d’argent. « Nous avons décidé de ne plus communiquer sur ce sujet après que des journalistes aient annoncé des consolidations complètement fausses », s’excuse-t-on au siège national de Véolia Transport. Avant de convenir : « On doit plutôt être en tête dans le coin. » En additionnant la vingtaine de réseaux de bus de l’ex-Connex (communaux et intercommunaux) aux délégations de la desserte des îles du Frioul et des tramways de Marseille et de Nice, au rachat de la SNCM et à la mise en place du fret ferroviaire fin 2006 (en partenariat avec CMA-CGM, troisième armateur mondial), il y a des chances ! Mais, comme dans le secteur de la propreté, l’estimation est impossible à faire. Seule l’activité « eau » est en définitive accessible. Depuis la flambée du m3 des années Jean-Marie Messier (1996-2002) et la dénonciation de l’opacité des contrats par certaines communes et associations de citoyens (nombre d’employés réellement affectés, frais de gestion reversés à la société mère, provision pour l’entretien et le renouvellement des réseaux…), les pouvoirs publics portent une attention particulière à la distribution du précieux liquide. Une étude de l’Institut français de l’environnement sur la période 2001-2004, publiée mi-mars, révèle ainsi qu’en Paca la facture moyenne annuelle par personne s’élève à 272 euros. Multipliée par le nombre de clients de Véolia (3,8 millions de Provençaux, 80 % de la population), on peut aisément avancer qu’elle brasse chaque année plus où moins un milliard d’euros. Ce qui est loin d’être quantité négligeable… Pourtant, à écouter Dominique Ciotti ce serait la crise. « Nous n’avons pas signé un contrat depuis 18 mois ! », assure la chargée de communication de la délégation régionale de Véolia Environnement. Sans s’attarder sur les nouvelles activités de la multinationale (fret, vidéosurveillance, formation professionnelle, stérilisation du matériel médical…) et divers appels d’offre obtenus un peu partout dans la région, la situation marseillaise prouve tout le contraire. En moins de deux ans, Véolia Propreté y a obtenu une parcelle de la collecte des ordures et l’incinérateur de la communauté urbaine en construction à Fos. Dans le même laps de temps, Véolia Transport est entrée à hauteur de 26 % dans la SNCM et a obtenu deux délégations de service public (les navettes du Frioul et le tramway). Depuis 2002, OTV construit également la plus grande usine d’assainissement souterraine du monde à deux pas du stade Vélodrome. Pas de quoi réellement crier à la famine. D’autant que les conditions d’attribution sont loin d’être désavantageuses. Jean-Claude Gaudin serait-il en train de transformer Marseille en « Véolia ville », selon l’expression inventée par Yvan Stéfanovitch (1) pour qualifier Nice et Toulon ? Certains le pensent. « Ca en prend le chemin. En cinq ans, son implantation s’est considérablement développée et dans des conditions très coûteuses », note Marcel Siguret, de la section locale d’Attac. Prévenante, Dominique Ciotti coupe court à toute spéculation : « Les pratiques douteuses, c’est du passé ! » Mais pas si ancien : en 2001 et 2005, le Conseil de la concurrence a épinglé Véolia pour des ententes sur la passation des marchés de l’eau (avec ses « deux s?urs » Suez-Lyonnaise des eaux et la Saur-Bouygues) et des transports urbains (avec Kéolis-SNCF et Transdev). Pierre Bauby, membre de l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (AITEC), n’en est pas complètement convaincu : « Il faut se souvenir qu’avant la loi Sapin (sur la moralisation…), les entreprises de l’eau ou du BTP étaient les principales sources de financement des partis politiques. S’il n’y a pas corruption, il peut encore y avoir des connivences. Et je pense qu’à Marseille il y en a eu. » Une allusion à la présence sur l’appel d’offre de délégation du tramway des frères Girardot (l’un comme directeur de la RTM, l’autre en tant qu’administrateur de Véolia) ? Le chercheur n’a aucune inquiétude pour l’avenir de Véolia dans la région. Bien au contraire : « Il y a une certaine fidélité entre les concessionnaires et les délégataires. Surtout, en ce moment, quelles ques soient les couleurs politiques, les élus penchent plutôt du côté des délégations que de celui des régies. » Jean-François Poupelin

1 L’empire de l’eau, Ramsay, 2005. A lire également sur le sujet : Jean-Luc Touly et Roger Lenglet, L’eau des multinationales, les vérités inavouables, Fayard.

Au sommaire

Page 10 – Nice, ville conquise: Véolia ne meurt jamais – Tram de Marseille: Le risque zéro existe – Infographie: La Véolia connexion

Page 11 – Eau potable: Ça coule à flot – Energie: Chauffe qui peut !

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