Utilité de la délégation
La SEMIACS, de son vrai nom Société d’économie mixte intercommunale pour l’amélioration de la circulation et du stationnement, a en charge depuis 1990 la gestion des transports urbains à Nice, au travers de deux DSP, l’une pour le réseau urbain proprement dit, l’autre pour les collines niçoises. La SEMIACS est détenue à 78 % par la Ville et à 16,6 % par la CGEA, filiale de Véolia (Connex). Sa particularité est de sous-traiter les tâches qu’on lui confie. Ainsi, sitôt les DSP conclues avec la Ville, la SEMIACS s’est empressée de sous-traiter l’essentiel de ses missions à la Société nouvelle des transports de l’agglomération niçoise (ST2N) pour le réseau urbain et aux Rapides Côte d’Azur (RCA) pour celui des collines. Est-il besoin de le préciser ? Ces deux sociétés sont des filiales de la CGEA…
La ST2N s’occupe ainsi, pour le compte de la SEMIACS, du transport des voyageurs, de l’entretien des bus, du contrôle du trafic et des billets, du recouvrement des amendes, etc. À l’origine, elle devait également vendre les billets, mais un observateur attentif a dû signaler que la SEMIACS risquait de n’avoir plus rien à faire. Or, c’est connu, l’oisiveté est mère de tous les vices. C’est donc pourquoi la SEMIACS a conservé la vente des titres de transport.. 90 % de ses charges d’exploitation servent néanmoins à rémunérer la ST2N. Cette valeur se monte à 97 % pour la DSP concernant le réseau des collines…
«Selon un rapport de la Chambre régionale des comptes, la SEMIACS sert d’écran entre la Ville et le l’exploitant réel du service public»
A quoi sert la SEMIACS, se demandent alors quelques mauvaises langues qui ne comprennent rien aux vertus de la division du travail ? Pour la Ville, la création de la SEMIACS devait lui permettre d’acquérir un savoir-faire suffisant pour opposer une contre-expertise crédible aux opérateurs privés de transport en commun. L’argument se tient. Mais il ne parvient pas à convaincre la Chambre régionale des comptes qui s’est penchées sur ceux de la SEMIACS (1) et qui considère plutôt que la société d’économie mixte sert « d’écran » entre la Ville et l’exploitant réel du service public. Ainsi, la ST2N est rémunérée selon un prix forfaitaire, ce qui la met à l’abri des risques de gestion. Et comme, de plus, elle n’a pas eu à investir outre mesure pour exploiter le service, les investissements restant à la charge de la SEMIACS, ses bénéfices n’ont pas à être capitalisés et peuvent être presque intégralement reversés à la maison mère.
D’ailleurs, ces bénéfices échappent au contrôle du conseil municipal et de la Chambre régionale des comptes, cette dernière n’ayant pas vocation à contrôler les sous-traitants. « En définitive, écrivent les rapporteurs, les comptes de la délégation enregistrent la charge relative aux investissements réalisés : amortissements et intérêts des emprunts, tandis que les comptes du sous-traitant enregistrent les bénéfices tirés de la seule exploitation. ». En résumé, les risques et les emprunts sont à la charge de la Ville, via une société d’économie mixte, et les bénéfices reviennent à Véolia. Ainsi, entre 1995 et 2000, la SEMIACS était déficitaire, notamment en raison des investissements effectués. Mais, dans la même période, la ST2N réalisait des bénéfices annuels, certes modestes, puisque compris entre 2,7 et 4 millions de francs…
La gestion du Fond d’investissement de renouvellement et de modernisation du matériel (FIRM) est symptomatique des impasses de ce mode de gestion. L’un des arguments mis en avant par la Ville pour justifier l’existence de la SEMIACS est qu’elle lui permet de garder un ?il sur les investissements et les achats de matériels. L’argument est fallacieux, puisque les sociétés d’économie mixte sont des sociétés de droit privé et ne sont donc pas soumises au code des marchés publics. Et s’il ne s’agit que d’acheter des bus sans passer par la procédure des marchés publics, les sous traitants auraient pu le faire eux-mêmes. En revanche, si la Ville avait voulu garder la main sur les commandes, elle eut été mieux inspirée de créer, au lieu d’une SEM, une régie dont les commandes auraient effectivement été soumises au code des marchés publics. Ce qui n’aurait nullement empêché cette régie de sous-traiter tout ce qui l’a été par la SEMIACS, en passant par une procédure, moins opaque, de marché public.
Dans le cas du FIRM, ça n’aurait pas coûté plus cher à la Ville. La Chambre régionale des comptes a en effet calculé que les fonds publics mobilisés au titre du FIRM furent d’un montant plus élevé que la valeur brute des immobilisations acquises. « La ville, écrit-elle, a donc dû mobiliser autant, voire plus, de fonds au titre du FIRM qu’elle ne l’aurait fait si elle avait acquis les immobilisations elle-même. »
La démonstration semble faite : la SEMIACS n’est d’aucune utilité, du moins pour les finances de la ville. Et pour les Niçois, alors, qui disposeraient d’un réseau exemplaire en matière de transports en commun ? Là encore, on est loin du compte… Mais la SEMIACS devrait vivre ses derniers jours. En effet, depuis le 1er juillet dernier, les transports en commun sont tombés dans le giron de la Communauté d’Agglomération Nice-Côte d’Azur (CANCA). Une DSP a même été conclue avec… ST2N, qui était en concurrence avec la société Transdev, filiale de la RATP. Il ne reste donc plus à la SEMIACS que la gestion de la gare routière, dont la délégation doit être renouvelée l’an prochain, et celle du stationnement à Nice, en surface et dans certains parkings. À la mairie, on hésite encore entre vendre la SEMIACS ou la dissoudre dans l’acide. Le Ravi propose de l’offrir à un musée de l’inutile.
Gilles Mortreux
(1) Chambre régionale des comptes PACA, Rapport d’observations définitives sur la gestion des services de transports publics urbains de voyageurs (délégations de services publics de la SEMIACS) – Années 1994 à 2000.