Un si proche Orient
Temps fort de la vie politique marseillaise, le repas annuel du Conseil Représentatif des Institutions juives de France local, le CRIF Provence, a une fois de plus fait salle comble le 6 avril dernier. Le Préfet, le Sénateur-Maire de Marseille, celui de Toulon, le Président du Conseil régional, celui du Conseil général des Bouches-du-Rhône, des parlementaires… Tout le gratin politique de la ville et de Provence était là.
Un symbole. Le poids de la communauté (70 à 80 000 personnes à Marseille, la deuxième après les Musulmans, 130 à 150 000 dans la région Alpes-Provence) oblige les élus locaux à lui prêter une oreille attentive et à répondre à ses invitations. C’est d’abord sur les problèmes de sécurité et sur la situation au Proche Orient qu’ils étaient attendus. De l’aveu d’Isidore Aragonès, le président du CRIF Provence, personne n’a fait d’écart ce soir-là. Au même titre que Zvi Ammar, il semble d’ailleurs avoir sa préférence. Elle va à Jean-Claude Gaudin. « Il a été très applaudi lorsqu’il a expliqué que pour lui un kamikaze n’est pas celui qui se jette dans un bus mais celui qui croit dans la justesse de sa cause. Il a aussi assuré qu’il avait beaucoup plus de considération pour un kamikaze japonais que pour celui qui se tue en Israël à la sortie d’une boîte de nuit », raconte le Président du Consistoire de Marseille et Vice-Président du Consistoire central.
Cette attention n’est pas isolée. La plupart des élus étaient aussi présents le 26 février dernier lors du rassemblement en mémoire d’Ilan Halimi. Tous, assure également Isidore Aragonès, ont signé la pétition condamnant les propos du Président iranien sur Israël lancée par le CRIF. D’ailleurs, l’avocat marseillais préfère prévenir : « Si nous ne sentons pas de soutien sur ces sujets de la part des institutions, nous ne manquerons pas de manifester notre mécontentement ».
Et pour cela, ils ne manquent pas de relais. A droite, comme à gauche. A l’image de Clément Yana, son prédécesseur, qui occupe depuis les dernières cantonales le poste de Conseiller spécial, « et bénévole » insiste-t-il, en charge des relations avec les communautés auprès du Président du Conseil général des Bouches-du-Rhône. « Bien que ce ne soit pas la raison de ma présence aux côtés de Jean-Noël Guérini, je peux effectivement lui faire remonter des informations et faciliter leurs relations », concède-t-il ainsi.
Selon Charles Bismuth, les militants politiques comme les responsables du CRIF et du Consistoire ne sont cependant pas les seuls à pouvoir influer sur les élus. « Même si ces derniers portent la parole politique de la communauté et transmettent ses demandes, lorsqu’un rabbin a besoin de quelque chose qui a à voir avec le Conseil général, le Conseil régional, la Mairie ou la Préfecture, il ne s’empêche pas de leur faire savoir », explique le grand rabbin de la région Alpes-Provence. Cela peut être pour une école ou une association, mais également pour des questions sociétales.
Face à cette multiplication d’interlocuteurs, les élus de la région ont pris une décision. Lorsqu’il y a nécessité de s’adresser à la communauté, ils invitent l’ensemble de ses représentants. « Il y a non seulement le grand rabbin et les présidents du Consistoire et du CRIF, mais également celui du Fond SocialJuif Unifié. Ce sont les quatre institutions de la communauté et chacune gère son domaine », s’amuse Jean-Jacques Zenou, le Président de la radio juive de Marseille.
Ce qui ne semble pas freiner Charles Bismuth à s’engager seul, s’il l’estime nécessaire. « Sur un problème comme l’homoparentalité, que notre religion interdit au même titre que l’homosexualité, je n’irai pas défiler. Par contre, je donnerai mon point de vue au premier député que je croiserai », assure le religieux. Une décision qui n’est cependant pas courante. D’abord, parce que ce type d’évolution sociétale est le plus souvent débattu directement au sein de la communauté. Au risque de provoquer des heurts, comme l’a vécu le grand rabbin de la région Alpes-Provence. Il y a deux ans, trop rigoriste selon le conseil d’administration du Consistoire, il a du quitter sa fonction de grand rabbin de Marseille pour laisser place à une personne plus jeune, plus ouverte. « Le Consistoire souhaitait que le rabbinat soit plus présent dans l’accompagnement social, car il y a de plus en plus de familles en détresse, éclatées ou de mères célibataires qui ne peuvent plus compter comme il y a vingt ans sur le soutien de leurs proches », explique le président de la radio juive de Marseille.
Le judaïsme touche tous les domaines de la communauté, mais se défend de se mêler de politique politicienne. Laissant chaque membre libre de ses choix. « Il y d’autant moins de vote juif qu’il est impossible de tous les convaincre de voter de la même façon ! », plaisante Charles Bismuth. Par contre, comme il le reconnaît lui-même, il y a des tendances. Et en ce moment, elles pousseraient certains, à l’image de la Conseillère régionale Front national Sonia Arrouas, à se tourner vers l’extrême droite. « Les problèmes avec les Musulmans, ici comme au Proche Orient, poussent de plus en plus de membres vers le FN. Ils croient que c’est la solution », regrette amèrement le rabbin.
Jean-François Poupelin